Par Liliane, Novembre 2024
HOTEL DESMARETS DE MONTDEVERGUES
HOTEL DU DEPARTEMENT
La salle des délibérations du Conseil général du Vaucluse à Avignon, rue Viala, est exceptionnelle par sa pérennité, tel un témoignage des débuts
des Conseils de département sur la scène administrative et politique française.
Collection M. Bourgue
L'Hôtel Desmarets de Montdevergues
L'Hôtel Desmarets de Montdevergues appartint à la famille d'Aymard jusqu’en 1708, année à laquelle il est acheté par François-Élzéar, marquis de Capellis, capitaine de galères et Premier consul d'Avignon, qui avait épousé Jeanne Marie de Fonseca, originaire de Rome.
Il fait remanier l'hôtel en 1710 par Jean-Baptiste Franque d’après les plans établis par Pierre II Mignard. A la moitié du siècle, François II Franque reprend la façade en y ajoutant un balcon de ferronnerie du serrurier Benoît et de larges baies surmontées d'un grand fronton triangulaire.
Hyppolite de Capellis
Le fils de François-Elzéar, Jean Antoine, est capitaine des vaisseaux du roi et chevalier de Saint-Louis. Son fils Hippolyte devient lui aussi capitaine dans la marine royale et contre-amiral du tsar de Russie, chevalier de Saint-Louis.
En 1785 ce dernier vend la demeure à Charles-Magne Victorin Desmarets, mousquetaire puis capitaine de cavalerie, dont le père, Louis Desmarets, notaire, avait acheté la seigneurie de Montdevergues : d’où la sculpture ajoutée au fronton, des oiseaux aquatiques, «armes parlantes » du titre de noblesse des nouveaux propriétaires.
Capitaine de vaisseaux sous Louis XIV
Fronton aux armes de Desmarets
Xavier Sigalon - Portrait d'Eugène Foulc Musée des Beaux Arts de Nîmes
Charles-Magne Desmarets de Montdevergues émigre lorsque la Révolution atteint Avignon et il meurt à Saint-Domingue en 1795. Son épouse avait obtenu le divorce et était rentrée en possession de l’hôtel qu’elle vend en 1829 à César-Auguste-Joseph de Joannis, marquis de Verclos.
Celui-ci, député du Vaucluse, le vend à Eugène Foulc et son frère, d’origine avignonnaise, qui avaient fait fortune à Nîmes dans le commerce de la garance. Ils vont vendre l’hôtel pour 120 000 francs au Conseil général.
Création des Conseils généraux
Les 83 départements français créés par la Constituante en 1790 sont tout d’abord dotés d’une Assemblée représentative dont la mission est la gestion de tous les intérêts locaux, mais dès 1793 les Conseils généraux sont placés sous tutelle et leurs compétences restreintes.
Le Vaucluse, constitué des États du Saint-Siège réunis au royaume de France en 1791 et des principautés d’Orange et d’Apt, est créé par décret en 1793 et devient le 87ème département français.
Carte du Vaucluse début XIXème siècle
C’est la Troisième République qui fixe la forme actuelle du Conseil général. Dans chaque canton, un conseiller est élu au suffrage universel pour un mandat de six ans.
Le Conseil veille aux affaires d’intérêt départemental : hôpitaux et hospices, instruction publique, travaux publics et police. Le préfet exerce la tutelle de l’État et contrôle les décisions.
Les lois de décentralisation de 1982 accorderont aux départements leur véritable autonomie, remettant le pouvoir exécutif aux présidents de Conseil général.
L’installation à Avignon
Dès l’arrivée du premier préfet de Vaucluse, Jean Pelet de la Lozère, en 1800, à l’hôtel de Forbin place de la Préfecture, les espaces affectés à ses appartements, au Conseil de Préfecture et au Conseil général d’administration s’avèrent insuffisants.
Ce n’est qu’en 1876 que sera acquis l’hôtel de Capellis / Desmarets de Montdevergues / Joannis de Verclos / Foulc, situé face à l’hôtel de Forbin.
Dès 1874, le préfet de Vaucluse, Scipion Doncieux, informé de l’intention des frères Foulc de vendre leur hôtel, avait demandé à l’architecte du département, Auguste Tiers, un projet pour y loger la salle du Conseil général, les bureaux des services de la Préfecture et les archives du département.
Jean Pelet
La salle des délibérations
« L’objet principal, même unique, d’une salle délibérante est que les discutants se parlent avec aisance, s’entendent avec clarté ; décoration, construction, règles de l’art, tout doit être subordonné à ce point final.» (Constantin-François de VOLNEY en 1794)
L’implantation de la nouvelle salle du Conseil général se fait à la place des écuries et remises de l’hôtel, avec une avancée pour donner un caractère solennel à l’entrée.
Auguste Tiers devant s’absenter en raison « d’un malheureux événement » son adjoint Louis Valentin prend le relais. On lui demande alors un plan différent, qu’il dessine en forme d’hémicycle, vantant « l’excellente disposition adoptée du point de vue de l’ensemble de la distribution, et la délicate question de la limitation de la température dans la salle en période de grandes chaleurs » grâce à l’ouverture d’un ciel ouvert dans le plafond pour compenser l’insuffisance de la lumière naturelle. Le chauffage sera distribué dans tous les espaces par un calorifère spécial.
Malgré le désaveu de Tiers qui avait prévu un plan rectangulaire, le préfet juge le plan « très bien conçu » et exclut toute modification. En effet, depuis la construction de la salle qui avait accueilli la réunion des États généraux en mai 1789, se posait la question de l’agencement de grands espaces destinés aux assemblées. L’antiquité était à la mode et la forme en amphithéâtre donnait une dimension fonctionnelle à un espace destiné aux orateurs, avec des bancs en gradins et une estrade au centre de la salle.
Les moyens de construction tirent parti des progrès de l’architecture, principalement par l’emploi d’une ossature métallique dissimulée par une enveloppe d’apparence traditionnelle en pierre de taille pour les façades provenant des carrières de Villeneuve, de Saint-Rémy et de Fontvieille.
La serrurerie est adjugée à la maison Biret et la menuiserie en chêne et noyer à l’entreprise Ducret.
Par mesure d’économie, certains matériaux sont de remploi : lambourdes en « chêne de barque », lambris déposés du premier étage de l’hôtel Foulc pour être adaptés à la « salle à gauche de l’entrée ».
Dans l’enceinte de l’hémicycle, le décor architectural utilise la technique des éléments de carton-pierre préfabriqués. Cette technique ancienne, industrialisée au XIXème siècle, consiste en un moulage d’une composition plastique dans laquelle entrent de la pâte de carton, de la colle, de l’huile de lin, de la craie et de la terre bolaire (argile) blanche ou rouge et ferrugineuse.
Le sculpteur avignonnais Arnaud sculpte les blasons des grandes villes du département, Apt, Carpentras, Orange et Avignon. et la balustrade des tribunes. L'ouverture zénithale prévue est remplacée par un plafond plein à rosace de style Louis XIII.
Blason de Carpentras : un mors de cheval commandé par sainte Hélène pour son fils, l’empereur Constantin, qui d’après la légende aurait été forgé dans un clou de la croix du Christ. Rapporté par les croisés, le saint Mors apparaît en 1226 à Carpentras et devient l’emblème de la ville.
Blason d'Orange : au-dessus des trois oranges, un cornet fait allusion à Guillaume de Gellone conseiller de Charlemagne, modèle du personnage de Guillaume d’Orange surnommé Guillaume au Court Nez.
Blason d'Avignon : trois clés dont l’une représente l’autonomie de la ville avant son acquisition par Clément VI, les deux autres désignant le Saint-Siège.
Blason d'Apt : une épée représentée avec son fourreau en souvenir de celle qui fut accordée par Jules César à la ville, baptisée Colonia Apta Julia, en hommage à sa fidélité
Tiers confie l’ornementation à l’entreprise Édouard Lefèvre de Montpellier : « Je désire que la salle du Conseil soit décorée dans le style Louis XIII mais en adoucissant les saillies de cette époque qui à l’intérieur sont généralement trop lourdes ; les chambranles des quatre portes qui donnent accès dans la salle seront en bois dans lesquels on pourra loger une moulure en carton pierre. » Concernant le « tympan de la grande ouverture, c’est là que je compte mettre le buste de la République flanquée à droite et à gauche de l’Industrie et du Commerce avec les attributs de la richesse et de la prospérité, de la force et de la gloire. »
L'un des mascarons
L’iconographie choisie délivre un message économique et politique : sous l’autorité et la protection de la République, les conseillers généraux vont délibérer face au buste de Marianne posé sur une colonne à chapiteau ionique encadrée par, à gauche, l’allégorie de l’Industrie entourée de roue crantée, presse d’imprimerie, scies, enclume, et à droite celle du Commerce et de la Prospérité qui tient le caducée de Mercure, dieu du commerce et des voyages, parmi les olives et les vins du Rhône.
Le choix de la coiffure de Marianne donna lieu à des discussions passionnées en 1871. Finalement la couronne de laurier, signe de modération, fut préférée au bonnet phrygien à cocarde tricolore.
Horloge Louis XVI bronze doré, milieu du XIXe siècle.
En 1907, le tableau Les Fenaisons en Provence de Paul Vayson offert au Conseil général est placé au-dessus de la tribune : évocation de la prospérité agricole et de l’attachement des Vauclusiens à la Provence.
La dépense totale représente un effort financier considérable dans une période d’austérité économique.
En 1878 le sénateur et président du Conseil général de Vaucluse, Régis Granier, ouvre la séance par ces mots :
« Messieurs et chers collègues, avant de passer à l’examen des affaires soumises à vos délibérations, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue dans la nouvelle salle de vos séances. Vous avez eu l’espoir, en imposant au Département les sacrifices de cette installation, que l’aménagement nouveau, en facilitant vos travaux, vous en permettrait l’exécution plus prompte. Il reste à désirer que cet espoir se réalise et que votre tâche soit, ainsi, rendue plus facile. »
Par le choix d'implanter la salle des délibérations du Conseil général face à l’hôtel du préfet, et bien que sa situation dans l’ancien jardin d’un hôtel particulier limite sa visibilité dans l’espace urbain, l’assemblée départementale affirmait sa distinction d'avec le représentant du gouvernement. La qualité de la construction, sa composition néo-classique, sa parfaite conservation et l’emploi pérenne de l'hémicycle donne à l'ensemble une valeur patrimoniale intacte.
De nos jours
Le Vaucluse, qui a une superficie de 3567 km² et compte 561 900 habitants, comprend trois arrondissements : Apt, Avignon, Carpentras.
La Préfecture est à Avignon, les sous-préfectures à Apt et Carpentras.
Il y a cinq circonscriptions électorales et quatre villes de plus
de 20 000 habitants : Avignon, Orange, Carpentras et Cavaillon.
Le Conseil départemental de Vaucluse comprend 34 conseillers départementaux issus des 17 cantons.
Il assure la gestion et l’entretien de 95 kilomètres de routes nationales transférées au département, ce qui porte le réseau routier à 2 450 km.
Il gère seize espaces départementaux des solidarités avec quatre tâches essentielles :
- la lutte contre les exclusions
- la Protection maternelle et infantile (PMI) et la protection de l’enfance (ASE)
- l’aide aux personnes âgées et handicapées
- la prévention sanitaire et les actions de santé.
Composition actuelle du Conseil départemental
Bibliographie
- Joseph Girard – Evocation du vieil Avignon
- Blandine SILVESTRE - Le Rituel des cérémonies - La salle des délibérations du Conseil général de Vaucluse
: la représentation départementale en ses murs (1875-2014) – Archives départementales de Vaucluse
- https://archives-maritimes.blogspot.com
Merci à Catherine Feuillas, guide de la visite du Conseil départemental lors des Journées du Patrimoine 2024