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LES FEMMES d'AVIGNON   1

Aye d’Avignon

Jeune fille à vendre et échanger.

      Au IXème siècle, à  la mort de son père Antoine, duc d’Avignon, de Marseille et de Valence, Aye est mariée par son oncle Charlemagne au sénéchal Garnier de Nanteuil. Cependant Béranger, fils de Ganelon le traître, prétend qu’elle lui avait été promise par Antoine. Devant suivre Charlemagne à la guerre, Garnier confie sa jeune épousée à une escorte chargée de la ramener à Avignon.

Béranger la rattrape mais elle s’échappe en se jetant dans une rivière. Des pêcheurs témoignant avoir vu une fée d’une grande beauté gagner un couvent proche, les fidèles de Garnier l’y retrouvent et la conduisent dans son palais d’Avignon.

Béranger donne l’assaut et la ville est mise à sac, Aye est enlevée et emmenée dans une forteresse que Charlemagne et Garnier de retour, assiègent. Béranger s’enfuit en bateau avec Aye jusqu’aux Baléares. Là, le roi musulman, Ganor, jeune, séduisant et séduit, propose d’acheter Aye pour son poids en or. Mais Béranger comptait la proposer au roi des Sarrazins, Marsilion, cousin de Ganor, qui deviendrait ainsi apparenté à Charlemagne et éventuellement son héritier.

 

Segneurs, or faites pes, que Diex vous puist aidier!

S'orrez bone cha[n]çon qui moult fait a prissier,

si comme Charlemaine fist alever Garnier,

et la franche roïne, qui moult le tenoit cher…

Ganor enferme Aye avec trois reines musulmanes pour la servir et la convertir, mais c’est Aye qui les convertit. Marsilion frustré s'en prend à Ganor qui recrute des mercenaires. Garnier s’enrôle, tue Béranger et Ganor est vainqueur. Désirant faire un pèlerinage à la Mecque avant d’épouser Aye, il confie son royaume à Garnier ; dès son départ, celui-ci délivre son épouse et ils regagnent Avignon, sans avoir touché aux richesses de Ganor.

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Neuf mois plus tard, Aye met au monde Guy de Nanteuil, dit Guyot.  Pendant ce temps, Ganor déguisé en vieux pèlerin se rend à la foire d’Avignon et kidnappe Guyot : Aye ne le reverra qu’en épousant Ganor, mais elle ne cède pas au chantage. Ganor élève Guyot en parfait chevalier.

Garnier est tué par le duc de Milon qui tombe amoureux d’Aye et l’assiège de nouveau à Avignon avec l’assentiment de Charlemagne. Guyot promet alors à Ganor que s’il secourt sa mère, il l’acceptera comme beau-père. Au cours de la bataille, Guyot abat l’assassin de son père. Ganor délivre Avignon et pour épouser Aye,  se convertit avec ses troupes ; les récalcitrants sont décapités.

Guyot de Nanteuil devient duc d’Avignon. Aye et Ganor, rentrés aux Baléares, auront un fils, Antoine.

Aye d'Avignon est l'une des chansons de geste, en 4136 alexandrins, qui forment le cycle carolingien. Ecrite au XIIème siècle, elle est conservée à la Bibliothèque nationale de Paris dans un manuscrit du XIVème siècle.

 

Historiquement, Aye, ou Agia ou encore Lampagie, aurait été une princesse franque qui épousa en 721 l’émir Abi-Nessa, gouverneur de Cerdagne et des Pyrénées, et vécut dans le sérail de Damas.

 

Dans les récits du haut Moyen-Age, la femme semble  n’être qu’un enjeu dans une politique fondée sur le mariage et les alliances, un objet manipulable au gré d’intérêts qui la dépassent, outil d’une transmission de la terre ou d’un fief.

Cependant, les choses ne sont pas si simples. Les biens de la femme sont protégés ; à moins d’un abandon volontaire de ses droits, elle conserve un pouvoir sur ses possessions. L’époux est plus l’administrateur que le propriétaire de la dot, qu’il doit employer pour le bien du mariage et en cas contraire, l’épouse a un recours.

 

Aye a un caractère affirmé : elle ne veut pas de Bérenger ni de Milon et provoque l’admiration de la cour par sa fermeté. Elle soutient son mari, traverse à la nage une rivière pour échapper à ses ravisseurs, affronte ses nombreuses aventures et impose sa foi à Ganor avant de l’épouser.

LAURE DE SADE

Entre idéal et réalité

Laure -Fr Consonove 1872-Calvet.jpg

    Bien que l’identité de Laure fasse toujours l’objet de querelles entre érudits, il semble qu’elle ait été la fille d’Ermessande de Réal et du chevalier Audibert de Noves. Laure participait à une cour d'amour présidée par sa tante Phanette de Gantelmes, où dames et troubadours faisaient assaut de courtoisie et de poésie. Juste pour le plaisir, quelques uns des noms que portaient ces dames : Huguette de Forcalquier de Trets, Briande d’Agout de Lune, Ysoarde de Roquefeuil d’Ansoys, Doulce de Moustiers de Clumane, Rixandre de Puyverd de Trans…

 

Elle épousa Hugues II de Sade en 1325, à l’âge de 15 ans. Hugues était issu d’une des plus illustres familles marchandes d’Avignon. Son grand-père Garnier de Sade avait été chenevassier (chanvrier). Grâce à sa fortune considérable il avait été syndic au Conseil de Ville. Ses armoiries sont toujours visibles sur la première arche du pont saint Bénézet dont la famille de Sade participait à l’entretien.

 

C’est le 6 avril 1327, alors qu’elle sortait de l’église du couvent sainte Claire,

qu’elle fut remarquée par François Pétrarque (1304-1374, poète d’origine florentine considéré comme le premier humaniste et initiateur de la langue italienne moderne) qui lui voua une passion platonique à l’origine des 366 sonnets et chansons formant les célèbres Canzoniere.

François Consonove - 1872 - Monument en l'honneur de Laure et Pétrarque - Musée Calvet

Béni soit le jour et le mois et l’année,
La saison et le temps, l’heure et l’instant
Et le beau pays, le lieu où fus atteint
Par deux beaux yeux qui m’ont tout enchaîné.

 

Elle eut néanmoins onze enfants, dont le troisième, Hugues III, s’installa pour ses affaires à Apt avant de revenir à Avignon dans une maison de l’actuelle rue saint Agricol. Sans certitude, il pourrait être l’ancêtre du célèbre « divin marquis » de Sade.

Laure mourut au cours l’épidémie de peste noire en 1348 sans avoir jamais répondu à l'amour de Pétrarque, et fut inhumée dans la chapelle des Sade, aux Cordeliers. Le poète Maurice Scève et François Ier vinrent s’y recueillir.

L’existence même de la Laure de Pétrarque a été mise en doute, bien que le poète ait écrit : « Il est dans mon passé une femme à l'âme remarquable, connue des siens par sa vertu et sa lignée ancienne et dont l'éclat fut souligné et le nom colporté au loin par mes vers. Sa séduction naturelle dépourvue d'artifices et le charme de sa rare beauté lui avaient jadis livré mon âme.»

LA REINE JEANNE

 

La reine aux quatre maris

       Née en 1325, Jeanne était la fille du duc de Calabre et de Marie de Valois, sœur du roi de France Philippe VI. Orpheline très jeune, elle fut désignée héritière du royaume de Naples par son grand-père qui la maria à André de Hongrie, tous deux étant âgés de huit ans.

Reine de Naples à 18 ans, elle eut parmi ses tuteurs Philippe de Cabassole, cardinal du pape Clément VI. La cour de Naples était minée par la rivalité des oncles de Jeanne. C’est la famille de Duras qui prit l'avantage en mariant Charles II de Duras à Marie, la sœur de Jeanne.

André fut assassiné en 1345 : que Jeanne ait été l’instigatrice du meurtre ou pas, les avis sont partagés. Le frère d’André, Louis de Hongrie, en profita pour tenter d’annexer le royaume de Naples. Dès 1346, Jeanne épousait à Naples son cousin Louis de Tarente. Devant l’avancée des troupes hongroises, elle embarqua pour la Provence tandis qu’à Naples, Louis de Hongrie faisait décapiter Charles de Duras.

Jeanne  reçut un accueil chaleureux à Marseille, moins à Aix-en-Provence, et arriva à Avignon pour rencontrer le pape Clément VI. Elle voulait obtenir une dispense pour son mariage avec son cousin, être disculpée du meurtre d'André et préparer la reconquête de son royaume. Le pape accéda à ses demandes et lui acheta la ville d'Avignon pour 80 000 florins.

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Dessin de Louis Boudan

Louis de Tarente, autoritaire et brutal, s’occupa surtout de consolider son pouvoir et fit exécuter le favori de Jeanne. La paix fut proclamée entre Naples et la Hongrie. Cependant la Provence, en théorie administrée par le royaume de Naples, était abandonnée aux pillages des « grandes compagnies ». Louis de Tarente mourut en 1362.

La reine prit une série de mesures populaires, puis épousa Jacques de Majorque, plus jeune d’une dizaine d’années, rendu à demi fou par son emprisonnement dans une cage de fer, durant quatorze ans, sur ordre de son oncle Pierre IV d’Aragon. Il tenta de reconquérir le royaume de Majorque mais mourut en 1375.

 

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Emile Lagier - 1887 

La Reine Jeanne devant Clément VI

Jeanne connut un calme relatif grâce à son entente avec Urbain V puis Grégoire XI, et le traité de paix  avec Louis d'Anjou. Sans enfants vivants, elle épousa le capitaine Othon de Brunswick qui avait contribué à lui faire récupérer ses terres du Piémont, ce qui lui attira la colère de Charles III de Duras qui se rapprocha de Louis de Hongrie. C'était l’époque du « grand schisme », avec l’élection deux papes.  Jeanne se prononça pour Clément VII d'Avignon et lui avança 50 000 florins, mais Urbain VI à Rome rassembla ses ennemis, le roi de Hongrie et Charles de Duras. En 1382 elle fit appel à Clément VII qui lui conseilla d'avoir recours à Louis d'Anjou. En échange de son aide elle l'adopta à la place de Charles de Duras. Celui-ci descendit vers Naples à la tête d'une armée. Othon de Brunswick ne parvint pas à l’arrêter. Charles III assiégea la reine qui dut capituler et fut emprisonnée. Louis d'Anjou arriva trop tard à son secours. Charles avait fait assassiner Jeanne le 27 juillet.

Acte de vente d'Avignon

Tour Ferrande.jpg

Le séjour de Jeanne à Avignon, en 1348 en pleine Peste noire, fut très bref. Elle avait logé au « palais de la Reine Jeanne » qui ne servit qu'à cette occasion. Il devint par la suite livrée cardinalice puis prieuré saint Martial (dans l'actuelle rue Jean-Henri Fabre). Pourtant, la personne fort controversée de la reine et son destin tragique sont à l’origine de toute une mythologie en Provence. Châteaux, ponts, routes lui sont dédiés, ainsi qu'un quartier extra-muros d'Avignon.

On dit même que le campanile de la Tour Ferrande de Pernes les Fontaines reproduit les courbes de sa silhouette…

A moins que la véritable reine Jeanne célébrée par les Provençaux soit Jeanne de Laval, à la personnalité toute différente, la seconde épouse du roi René d’Anjou, qui régna avec lui plus de vingt ans sur la Provence avec probité et générosité.

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