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Par Liliane, 2018-2020

Un peu de poésie - 1

Les poèmes de Provence
Vignes du Languedoc, oliviers des Alpilles,
Toi qui dresses si haut ton front neigeux, Ventoux,
Alpes du Dauphiné, forêts, monts et collines,
Dans la plaine à vos pieds, que regardez-vous tous ?
Les pics et les coteaux, les vignes et les chênes,
Étageant leurs gradins en cercle à l'horizon,
Regardent au milieu des mûriers, dans les plaines,
Près du Rhône qui luit, la hautaine Avignon.
Avignon a des murs du temps des épopées,
Dentelées de créneaux par où les vieillards blancs,
Tout en pleurs, regardaient les rudes coups d'épées,
En dressant vers le ciel muet leurs bras tremblants.
Le Moyen-Age grave et sombre vit encore
Dans son enceinte ovale où se dressent les tours
Des Jaquemarts debout dans leur clocher sonore,
Flèches, porches, palais, dômes aux noirs contours.
Aux faîtes les plus hauts et dans chaque lézarde,
Des fleurs mêlent leur grâce aux festons du granit,
Et même le figuier sauvage s'y hasarde
Au ppied noueux duquel l'hirondelle a son nid.
Ici c'est le palais tortueux et sévère
Des papes qui trônaient plus puissants que les rois ;
Là, l'église des Doms, et, devant, son Calvaire
Où se dresse un grand Christ en pierre sur sa croix.
Le crucifié triste est debout à mi-côte
du Rocher, mamelon riant de pins planté :
Une place au sommet ; sur cette place haute
Un Jean Althen de bronze, orgueil de la cité ;
Car c'est sous cet azur de clémence, que pousse
La garance, couleur de la vie et du sang.
Oh ! le divin pays, où la langue est si douce
Sur les bords enchantés du Rhône si puissant !
Il y a une ville Avignon,
entourée de remparts,
protégée du tumulte du monde,
seule, humaine, de couleur
éblouie par le soleil,
éclairée par la nuit,
pareille à un monde incertain
des milliers de regards la surveillent
dans le silence
les yeux clos,
accrochées aux murs,
ne faisant que respirer dans
l'instant du retour à la vie
les vierges de la mémoire,
de hier, de demain, du désir
Une femme Un homme
les cherchent, les apprivoisent,
parcourent les rues de la ville
posé sur leur cœur, le rêve
fou que les Vierges deviennent humaines
posant leur regard sur eux,
sur la vie,
l'histoire, sur le temps,
passé, présent.
Dominique Bornand


Avignon resplendit dans un passé de gloire ;
Pétrarque à son nom seul m'apparaît et sourit,
Et son présent est beau de garder la mémoire
Du parler des anciens dont un mot m'attendrit.
Ô félibres, salut ! Salut, ô Roumanille ;
Chanteur de la grenade entrouverte, Aubanel ;
On sait que votre accent donne à la jeune fille,
Étant fait pour l'amour, un sourire éternel
Et toi Mistral, au nom prédestiné ; félibres,
Vos voix ont dominé, si douces cependant,
Le Rhône et son mistral qui, sauvages et libres,
Sur les ponts d'Avignon se brisent en grondant !
Coteaux du Languedoc, Alpines, monts et chênes,
Qu'écoutez-vous, penchés en cercle à l'horizon ?
Les monts et les forêts écoutent dans les plaines,
Près du Rhône qui luit, la chanteuse Avignon.
Jean-François Victor Aicard - 1874
Miroir
Le long des remparts du Rhône. Dort la ville à l'envers dans le Rhône, dort.
Ses vibrations. Du premier au troisième pont jouent de la harpe les coupoles, jouent de la vielle en nacelles les palais dans l'eau les lucioles. Roulent en médaillons des noces avec des servants de chapelle, et des belles que font danser des vertiges, coulent des flammes fugitives dans des corolles lapidaires, et des églises liquides penchent leurs clochers solidaires, des emblèmes d'une autre époque rament vers de blonds candélabres, gaffent lunent signent platanent, des syllabes, des synonymes, des portes dociles de style, des tuiles, des péristyles et des plaques, je vois la ville,
et le fleuve, qui l'aime, d'un geste lent et caressant l'enlace, l'embrasse; la prend. On croirait qu'il voudrait lui dire en mots virils des choses tendres. Il le fait, d'ailleurs, il suffit d'entendre,
un arbre mort passe sa tête, noir sur l'espace d'un regret; venu de loin, banni fragile et frémissant dans les dentelles, brusquement surgi solitaire,
glissent aussi des lampes rouges vers la berge où vont les péniches; des fanaux verts, glissent des rêves invisibles, du quai de la Ligne aux allées de l'Oulle. Et des taches claires, sans contours, traversent des buvards de lumière.
D'ici tout semble éternité, fantaisie exacte et masquée, balancier, fumées blanches toujours charpentes, glaives de bulles grandissimes, rendez-vous des scintillements, pèlerins à plusieurs visages. Les murailles sont gigantesques.
Miroir, infiniment cœur, nonchalamment cour, et sablier.
Baiser.
Le long des rempart du Rhône. Dort la ville à l'envers dans le Rhône, dort.
Christian Jauréguy
Miroir, extrait de Sept poèmes pour Avignon



La chanson des Félibres
Souto lou grand cèu blanc,
L'oundado negro
Miraio, en barrulant,
La luno alegro !
Dóu goutique Avignoun
Palais e tourrihoun
Fan de dentello
Dins lis estello.
Avignoun, grasiha,
De l'escandiho,
Tambèn de fes que i'a
Lou jour soumiho !
Mai, s'acampo au soulèu
Si gai felibre, lèu
Es di cigalo
La capitalo....
Sous le grand ciel blanc,
le flot sombre
reflète, en roulant,
la lune joyeuse !
Du gothique Avignon
palais et tourelles
font des dentelles
dans les étoiles...
Avignon, grillé,
de rayons,
tout de même quelquefois
le jour sommeille !
Mais, s'il assemble au soleil
ses gais félibres,
vite il devient des
cigales la capitale...
Théodore Aubanel

Provence
Champ de lavande ciel d’orage tombé par terre
Oliviers fine monnaie d’argent verdi
Cyprès porte-plume aux portes des cimetières
Stridulantes cigales affolées et ravies
Seins lourds et ballotants des vendeuses de miel
De melons d’eau cerises et angélique
Chaque soir les hirondelles crient la mort du soleil
Les gens d’ici ont un parler de basilic
Le sable brûle sous les aiguilles de pin
Quand le vent souffle les arbres pleurent
Avec lui s’envole l’odeur de menthe l’odeur de thym
Des fourmis montent à l’assaut des petits-beurre
Du goûter oublié sous un vieil amandier
Bosse noire bosse blanche Mont Ventoux
Plus beaucoup de perdrix et peu de sangliers
Mais dans chaque village toujours ces beaux matous
Qui ne connaissent que leur perron et les trois rues autour
Je rêve des anciens bergers dans les garrigues
Ici pas de semailles pas de labours
Mais des vignes des vignes et des figues
Champ de lavande ciel d’orage tombé par terre
Liliane
Liliane




La rue des Teinturiers
C'est la fraîche oasis du rêve et du mystère
D'où monte la prière, où pleure le regret.
Là, le silence et l'ombre offrent leur double attrait
À qui porte un secret dans l'âme et veut le taire.
Le flot bleu de Vaucluse au canal transparaît,
La roue en s'égouttant l'éparpille par terre
Donne de la fraîcheur à la chapelle austère ;
Le pénitent se trouble à ce charme indiscret.
Au pied de cette tour que l'ogive décore,
L'âme de Laure rôde, et nous attire encore.
L'eau vient baiser les bords où reposa sa chair.
C'est ainsi que, malgré la course et son épreuve,
La Sorgue filiale, à qui ce nom est cher,
Se souvient de sa source en tombant dans le fleuve.
Paul Manivet, 1913

Le poème du Rhône
C'est Avignon et le Palais des Papes ! Avignon ! Avignon sur sa Roque géante ! Avignon, la sonneuse de joie, qui, l'une après l'autre, élève les pointes de ses clochers tout semés de fleurons ; Avignon, la filleule de Saint-Pierre, qui en a vu la barque et l'ancre dans son port et en porta les clefs à sa ceinture de créneaux ; Avignon, la ville accorte que le mistral trousse et décoiffe, et qui pour avoir vu la gloire tant reluire, n'a gardé pour elle que l'insouciance.
Frédéric Mistral, 1897
Les matins d’Avignon sont légers et limpides. On dirait qu’ils sortent du Rhône et qu’ils ne se sont pas essuyés. Le ciel n’est pas du bleu massif, de l’indigo païen et africain, du bleu implacable de certaines régions. Il a quelque chose d’aéré et de tendre, de spirituel et de pur. J’ai presque envie de dire que l’air s’y est champanisé.

Quand le soir descend ou que la nuit est venue, il faut se perdre dans les étroites rues (…). On entre dans le noble passé d’Avignon, dans ce qui est sa gloire, sa poésie et son charme. Des coins d’ombre, des noirs d’eau-forte sont égratignés par la lumière d’une lampe, un corridor ouvert montre une voûte de chapelle gothique ; les lourdes portes cloutées sont fermées, et derrière les barreaux de fer des fenêtres grillées on verrait parfaitement quelque blonde Florentine attendant l’heure de la sérénade.
La façade d’un palais du XVème siècle a l’air d’une magistrale composition de Piranèse, la cloche d’une chapelle perdue sonne doucement, et l’on ne serait guère surpris de rencontrer une patrouille d’hommes d’armes, le carrosse du pape Clément V, la nièce d’un cardinal, Pétrarque rêvant à l’inaccessible Laure…
Entre juin et octobre, les belles nuits d’Avignon ont toujours un air de fête populaire au XIIIème siècle, une gaîté qui ne manque jamais d’élégance et, même sur les placettes les plus désertes, il y a comme un écho de violon, un reflet de lanterne vénitienne.
Derrière Saint Didier il y a sur une placette une petite maison appuyée au vieux mur de l’église. Elle n’a qu’un étage et, de sa fenêtre, en étendant le bras on doit pouvoir toucher la Vierge de pierre qui est dans une niche. Deux croisées à rideau bleu tendre, une plante dans un pot. Ce modeste appartement est loué, mais chaque fois je regrette de n’en être point le locataire.
Leo Larguier, Les matins
Photographie : Léo Larguier et Jeanne de Flandreysy au Palais du Roure

Avignon n’est plus qu’une petite ville, mais c’est une petite ville d’un aspect colossal. J’y suis arrivé vers le soir. Le soleil venait de disparaître dans une brume ardente ; le ciel avait déjà ce bleu vague et clair qui fait si divinement resplendir Vénus ;
quelques têtes d’hommes, brunes et hâlées, se montraient sur les hautes murailles comme dans une ville turque, une cloche tintait, des bateliers chantaient sur le Rhône, quelques femmes pieds nus couraient vers le port, je voyais par une porte ogive monter dans une rue étroite un prêtreportant le viatique précédé d’un bedeau chargé d’une croix et suivi d’un fossoyeur chargé d’une bière, des enfants jouaient sur des pierres à fleur d’eau au bas du quai ; et je ne saurais dire quelle impression résultait pour moi de la mélancolie de l’heure mêlée au grandiose de la ville.
Avignon se meurt comme Rome de la même maladie que Rome avec autant de majesté que Rome.
Pourtant, si vous voulez conserver l’impression entière, si vous voulez emporter dans votre esprit, dans votre cœur peut-être, Avignon vierge et vénérée, si vous voulez qu’aucun sentiment moindre ne trouble en vous les hautes pensées qui sortent de la contemplation de cette ville, n’abordez pas, n’entrez pas dans Avignon, passez en toute hâte, descendez le Rhône, gagnez Beaucaire ou Marseille, une cité marchande quelconque et de là retournez vous vers Avignon pour l’admirer.
Victor Hugo
L’amour vous tient entre les murs de ma ville… « Avignon-la-folle » !, ville sainte, ville satanique, vouée aux miracles et aux sortilèges, à la Vierge, à Vénus, aux démons, embrasée par les feux des bûchers, par les fêtes de nuit… Les péchés de bouche, le nonchaloir, les femmes les plus belles, d’adorables femmes galantes, de galants hommes… Et voilà qu’à l’amour il pousse des ailes, c’est l’amour sacré, l’amour éternel… Les couvents se ferment sur les femmes qui quittent ce monde… Vous verrez ce que c’est que la magie d’Avignon ! Dans quelle autre ville trouverez-vous sur un mur une inscription glorifiant la naissance d’un amour, comme celle d’un grand homme : Ici, Pétrarque conçut pour Laure un sublime amour qui les fit immortels… Et ne croyez pas qu’Avignon succombe sous le poids de l’Histoire, cette ville est tissée de légendes, chaque jour y ajoute un fil, ici chacun est Pétrarque, chacune est Laure… Que de couples immortels dans les rues de cette ville de l’amour, de cette ville mystique et galante…
Elsa Triolet
Les Amants d’Avignon
