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Accueil  / Vidéos Avignon pas à pas - Sel & Gabelle                                                    Par Francis & Liliane, Mars 2021

Avignon pas à pas...

Deuxième promenade

Sel & Gabelle - Le Grenier à sel

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Le sel… un ingrédient tout ce qu’il y a de banal dans nos cuisines et sur nos tables. Et pourtant, ce sel si commun et indispensable a longtemps été l’objet de convoitises, de marchandages, d’impôts royaux, d’interminables conflits d’intérêt, d’une intense contrebande, et même de ruines et d’assassinats.

Le mot sel a donné « salaire » le salarium étant la somme allouée aux soldats romains pour l'achat de sel. Cet ingrédient resta longtemps essentiel grâce à ses qualités de conservation de la viande, du poisson, du beurre et du fromage, et pour la panification, le pain ayant été un aliment primordial. Il était également employé pour la teinture, la céramique… Le bétail doit avoir des pierres à sel à lécher pour couvrir ses besoins en calcium.

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Au XVIe siècle, les dépenses en sel d'une famille de paysans représentaient jusqu’à 10 % de ses revenus. La production de sel, son transport, sa vente, sa taxation – et la contrebande – fournissaient des emplois à une grande partie de la population.

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Exorcisme au sel, pontifical romain,

Avignon XIVème siècle

L’importance stratégique, économique et sociale du sel s’est étendue au rite chrétien : symbole de purification, il est utilisé pour le baptême des nouveaux nés - mais aussi aux superstitions : il était censé lutter contre les démons et le mauvais œil, mettre en fuite sorcières et fantômes. Associé à la graisse, à l’huile, au miel ou au vin, il faisait partie de nombreux remèdes – dont certains sont toujours d’actualité ! On utilisait pour soigner un sel blanc et raffiné réduit en poudre très fine afin de le dissoudre dans des solutions. Le sel posé en emplâtres ou appliqué en onguents guérissait piqûres et brûlures.

 

La gabelle du sel

En 1343, par ordonnance du roi Philippe VI, le sel était devenu un monopole d'État lié à une taxe faisant partie des différentes gabelles. La gabelle sur le sel devint si élevée dans certaines régions qu’elle entraîna des exodes ruraux, des révoltes suivies de répression impitoyable, et sera l’une des causes de la Révolution.

Elle fut appliquée en France pendant quatre siècles et demi. La vente du sel fut contrôlée, via les greniers à sel, par les grenetiers, officiers royaux. La perception de l’impôt était différente selon les régions :

 

- les pays francs étaient exempts d'impôts car dispensés lors de leur réunion récente au royaume, ou parce que c'était des régions maritimes.

 

- les pays rédimés étaient exemptés à perpétuité de la gabelle par un versement forfaitaire

 

- les pays de salins où l'Etat percevait directement un profit en majorant les prix de vente

 

 - les pays de quart-bouillon : le sel y était produit dans des sauneries particulières où l'on faisait bouillir le sable imprégné de sel de mer ; le quart de la fabrication revenait aux greniers royaux.

 

- les pays de petite gabelle : la vente du sel était assurée par les greniers à sel, mais la consommation restait libre.

 

- les pays de grande gabelle : on devait y acheter obligatoirement une quantité fixe annuelle de "sel du devoir", ce qui transformait la gabelle en un vrai impôt direct.

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Répartition de la gabelle du sel en 1789

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Avignon et le Comtat en 1620

En Avignon, la problématique du sel fut très particulière.

Enclavés en terres royales, Avignon et le Comtat Venaissin, possessions du Pape, occupaient une position clé car deux routes importantes s’y croisent : l’une vers Nîmes et Montpellier, l’autre vers Aix et Marseille.

 

Jusqu’en 1581, le sel était acheté aux salines de l'étang de Berre et revendu aux consommateurs avec un simple bénéfice et une légère taxe au profit du trésor pontifical. Ensuite, il fut obligatoire de se fournir en sel à Peccais (près d'Aigues Mortes), sel vendu exclusivement par les fermiers généraux du roi grâce à un bail du pape au nom d'un bourgeois d'Avignon. Celui-ci, moyennant le versement au profit du pape de 4 500 livres par an, en avait le monopole pour Avignon et le Comtat. C’est l'origine du grenier à sel, le seul endroit où on pouvait se procurer du sel, directement ou en passant par un regratier, c'est-à-dire un intermédiaire qui le revendait au détail moyennant quelques sols de plus.

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Un minot de sel équivaut à environ 58 kilos. En Avignon, grâce à d’anciens privilèges farouchement défendus et soutenus par le pape, il était vendu au prix unique de 6 livres 12 sols, tandis qu’il coûtait presque quatre fois plus dans le Dauphiné et à Valence. Ce qui entraînait une lutte acharnée de la part des agents royaux incapables de réaliser leurs bénéfices habituels, car les Contadins pratiquaient une fraude massive, revendant allègrement du sel aux Français. En même temps, les sujets du Pape dénonçaient sans relâche les difficultés incessantes qu’ils avaient à obtenir le sel auquel ils avaient droit : refus d’obtenir les quantités prévues, obligation de venir plusieurs fois et passer des nuits en ville, longues files d’attente, vendeurs grossiers qui tentaient de percevoir des suppléments au tarif officiel, exigence de billets certifiant le nombre de personne et d’animaux à charge – ce qui donnait lieu à une comptabilité des plus fantaisistes de la part des acheteurs. D’interminables négociations se répétèrent, sans que jamais les Comtadins ne cèdent sur le moindre point. Personne de passage à Avignon ou à Carpentras n’en repartait sans tabac ou sel achetés bien meilleur marché que partout ailleurs…

Les agents royaux chargés d’appliquer la gabelle, les  gabelous, étaient en lutte constante avec les contrebandiers, les  faux-sauniers, dont le plus célèbre fut Mandrin. Au cours du XVIIIe siècle, les guerres royales provoquèrent de fortes hausses de la taxe et la fraude devint un véritable sport national, fort dangereux : les contrebandiers, quand ils n’étaient pas abattus par la maréchaussée, étaient condamnés, selon les cas, à l’exil, au fouet, au marquage au fer rouge ou aux galères.

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Arrestation d'un faux-saunier par les agents royaux

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 « Salier », utilisé par les bergers. Trois passants permettent de le suspendre à la ceinture.

A partir de 1720, le recouvrement des impôts fut confié à des fermiers généraux qui achetaient la charge au roi. La perception devint plus rigoureuse car ils cherchaient à en tirer le maximum de profit. Toute personne de plus de sept ans était tenue d'acheter annuellement au moins sept livres de sel, sans avoir le droit de revendre le surplus. Les gabelous pouvaient perquisitionner à toute heure dans toutes les maisons pour s'assurer qu'on n'y employait pas d’autre sel. Cette tyrannie fiscale était particulièrement mal supportée.

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Louis Mandrin "Capitaine général des contrebandiers de France".

Voulez-vous voir des gens haïs ? Guettez les gabelous quand ils viennent au village. Les hommes les regardent de travers, d'un sombre regard qui ne dit rien de bon, les femmes, si elles pouvaient, les déchireraient avec les ongles. Ils entrent brusquement dans la maison; de force ils fouillent la masure, pour voir s'il n'y a pas de sel caché. Ils se font montrer le coffre : "Toi, tu n'as plus de sel assez : qu'en as tu fait ? Tu l'as vendu, sans doute!"  Procès, amende, prison. "Toi tu en as trop évidemment, tu as acheté du sel de fraude." Procès encore. On perdait toujours. Le gabelou méprisé, haï, souvent battu se vengeait : il ruinait qui il voulait. Comme le sel du roi se vendait fort cher, beaucoup de gens faisaient métier d'en fabriquer et d'en vendre en fraude : ce sel de fraude, les gens de gabelle l'appelaient du "faux sel", le sel du roi étant le seul vrai, et les fraudeurs "faux sauniers". Entre ceux-ci et les gabelous c'était guerre à mort, guerre de nuit et d'embûches. Quand on les prenait ils étaient pendus.

Charles Delon, Les paysans

A la fin du XVIIème siècle, une contestation supplémentaire eut lieu entre les fermiers généraux et les coseigneurs du péage à sel d'Avignon, c’est à dire vingtaine de communautés ecclésiastiques, divers hôpitaux et couvents et deux laïcs. Ils levaient un péage sur les bateaux chargés de sel qui remontaient le Rhône et sur tout le sel débarqué à Avignon. Chaque muid de 72 quintaux devait au passage un minot de sel «en essence» et 3 sols en argent; chaque déchargement de barque donnait lieu à la perception de «deux minots combles ou trois razes». Quand les agents royaux voulurent supprimer ces bénéfices, on argumenta que ce produit était destiné à « marier de pauvres et honnêtes filles ».

Les taxes faisant partie des différentes gabelles étaient répertoriées dans un registre à la reliure solide, renforcée de clous, attaché par une chaîne à l’agent royal qui le transportait. Ce registre écrit en provençal, conservé aux Archives municipales, consigne les gabelles des années 1397 à 1402.

Parmi les « boettes » également conservées aux Archives municipales, se trouvent celles contenant les documents relatifs aux gabelles du sel.

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Aucun impôt n'a été aussi détesté que la gabelle, et  les cahiers de doléances de 1789 en réclament la suppression : "Qu'on ensevelisse pour toujours jusqu'au nom de l'infâme gabelle  dont nous ne dirons aucun mot, parce que nous craindrions de n'en pouvoir jamais assez dire pour faire connaître toutes ses injustices, ses vols, ses assassinats et ses crimes ".

 

L’abrogation de la gabelle fut l’une des premières mesures adoptées en 1789 par l’Assemblée Constituante lors des États Généraux.

Caricature représentant les paysans écrasés

sous le poids des impôts.

LE GRENIER A SEL

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Un radeur se sert de la racloire

pour mesurer le sel.

Les greniers à sel, gérés par les fermiers généraux,  furent créés en 1343, en même temps que la gabelle. Destinés à entreposer le sel, ils servaient également de tribunaux pour les litiges liés à cet impôt.

 

Jusqu’à la Révolution un grenier à sel fut le seul endroit où on pouvait se procurer du sel, directement ou en passant par un regratier, c'est-à-dire un intermédiaire qui le vendait au détail moyennant quelques sols de plus.

 

Le grenier à sel d'Avignon fut tout d’abord installé dans une maison particulière à la Porte de la Ligne, alors appelée de saint Geniès ou de la Palaphernerie. Rue du Rempart saint Lazare, se trouvait également le grenier du Dauphiné, soumis à une juridiction différente, séparé du grenier à sel par l’auberge de la Croix Verte Celle-ci fut rebaptisée « au Lion d’or » par l’un des propriétaires, Jean Louis Gay, surnommé « Gay la Vierge » car il avait mis sur la façade une Madone, et l’association entre une auberge et la Vierge paraissait saugrenue. On voit encore dans la cour les écuries, car l'auberge était "à pied et à cheval", mais la Madonna delle rose actuelle n'est pas d'origine.

 

Déchargé au port d'Avignon, le sel devait être stocké environ deux ans pour le faire gabeler, c'est-à-dire sécher. Devenu peu à peu insalubre et mal entretenu, le premier grenier à sel fut ravagé par l'une des fréquentes inondations du quartier, celle de 1755. Laurent Drapier, un chroniqueur de l'époque, raconte  «Le grenier à sel de la porte de la Ligne a perdu presque 7 000 minots de sel (400 tonnes environ) ; il y en a resté un petit tas dans un coin ; tout le reste a été fondu et confondu dans la boue. Il en coûtera 20 000 écus aux fermiers généraux».


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Les sauniers-saleurs, marchands de salaisons, étaient installés rue Saunerie (actuelle rue Carnot) dès le milieu du XIIIème siècle. Il y eut une annexe du grenier rue du Puits de la Reille, où a subsisté l’inscription Marché au sel

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L’édifice actuel fut reconstruit en 1758 par Jean-Ange Brun, l’architecte de la Chapelle de l’Oratoire. Il fut surélevé de 3.50 m par rapport à la première construction, avec un seuil d’entrée en pierre de Caromb, et un fronton décoré d’un cartouche peint aux armes de Louis XV.La façade  est encadrée de piliers à bossages et percée de fenêtres en plein cintre. Les ouvertures latérales furent munies d'un grillage doublé d'épais barreaux.

 

« On a fait, écrit Laurent Drapier, une fort belle façade où les armes du Roy sont placées, On monte au dit Grenier par quantité de degrés pour empécher que l'eau n'y puisse plus entrer ".
 

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Le bureau du gérant possédait la seule cheminée du lieu, et deux solides barrières canalisaient les acheteurs. Dans les deux salles de 184 et 195m² s'entassaient les sacs de sel.

Quand Avignon et le Comtat Venaissin furent rattachés à la France, en 1791, le grenier à sel fut vendu comme bien national à François Dervieux, entrepreneur de Messageries, puis à un négociant en vin, puis il passa en 1897 à Eugène Mortz qui le  transforma en brasserie. En 1928 la famille Naquet y installa une exploitation de chardons à carder la laine. Les caves servirent d’abris pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

L’édifice, classé monument historique, a été restauré en 1987 par Jean-Michel Wilmotte pour en faire une salle des ventes. Au dernier niveau sont installés les locaux de l’Hôtel de la Grande loge maçonnique de France d’Avignon.

 

Actuellement le Grenier à Sel, sous le nom d’Ardenome, accueille des événements liés aux arts numériques.

 

Bibliographie

-Robert Bailly, Le sel autrefois. Commerce et dépôt. Histoire du Grenier à sel d'Avignon, aujourd'hui salle des ventes, in : "Avignon, Rhône & Comtat" n°8, 1988 - Archives Municipales

-René Moulinas, « Avignon, le Comtat Venaissin et la contrebande du sel au XVIIIe siècle », in : Études héraultaises, n°14, 1983 - Archives Municipales

-Adrien Marcel. . Mémoires de l'Académie de Vaucluse - Tome XXIV - Année 1924

-Hervé Aliquot. https://www.midilibre.fr/2018/09/12/avignon-les-francs-macons-ouvrent-leurs-portes,4695053.php

-Charles Delon - Les paysans (extrait)

-Photographies du registre et des "boettes" prises aux Archives Municipales

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