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Petites histoires au sein de la grande Histoire...

Celle d'Avignon est riche en anecdotes, tragiques ou cocasses.

 

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Stendhal, un touriste à Avignon

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Les 15 et 16 juin 1837, Stendhal débarque à Avignon pour une visite de deux jours. Sa mère, Henriette Gagnon, était native de la ville et lui-même pensait que la famille y était arrivée d’Italie vers 1650

 

Comme Victor Hugo deux ans plus tard, il garde de son arrivée à Avignon un souvenir… mitigé :

 

« J’ai débuté à Avignon par avoir de l’humeur. Huit ou dix portefaix grossiers se sont jetés sur mes effets et s’en sont emparés malgré moi : j’enrageais, mais ne disais mot. »

 

Mais bientôt la ville lui laisse une bien meilleure impression :

 

« En entrant à Avignon, on se croit dans une ville d’Italie. Les hommes du peuple, au regard ardent, au teint basané, la veste jetée sur l’épaule, travaillent à l’ombre ou dorment couchés au milieu de la rue ; car, ici comme aux bords du Tibre, on ne connaît pas le ridicule, et si l’on songe au voisin, c’est pour le regarder en ennemi, et non pour craindre une épigramme. »

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Il apprécie la beauté des Avignonnaises :

 

« Les femmes d’Avignon sont fort belles ; comme j’admirais les yeux vraiment orientaux d’une de ces dames qui faisait des emplettes dans les boutiques de la place, on m’a dit qu’elle était Israélite.» 

 

« Rabelais appelle Avignon la Ville sonnante ; on y voit, en effet, une foule de clochers : moi, je l’appellerais plutôt la ville des jolies femmes ; on rencontre, à tout bout de champ, des yeux dont on n’a pas d’idée dans les environs de Paris. »

« Les rues sont couvertes de toiles à cause de la chaleur ; j’aime cet usage et le demi-jour qu’il procure. »


Cependant le climat le fait souffrir :

 

« La vue des îles que le Rhône forme dans le voisinage n’est pas mal. À vrai dire, j’ai jugé que toutes ces vues étaient agréables, mais je n’en ai point joui ; j’étais hors d’état d’avoir aucun plaisir. Un mistral furieux a repris depuis ce matin ; c’est là le drawback de tous les plaisirs que l’on peut rencontrer en Provence.

 

Strabon appelle ce vent terrible mélanborée, bise noire ; c’est encore le nom qe lui donnent les Dauphinois : mais en Provence on l’appelle mistral. Slrabon et Diodore de Sicile assurent que sa violence est telle qu’il enlève les pierres et renverse les chars. Il n’y a pas quinze jours, qu’en passant le pont de Beaucaire, la diligence a été obligée de se faire soutenir par huit hommes se pendant à des cordes attachées sur l’impériale. Elle avait la perspective de tomber dans le Rhône.

 

Le vent du nord rencontre la longue vallée de ce fleuve qui est nord et sud ; elle remplit l’office du bout d’un soufflet de cheminée et redouble sa force. Quand le mistral règne en Provence, on ne sait où se réfugier : à la vérité, il fait un beau soleil, mais un vent froid et insupportable pénètre dans les appartements les mieux fermés, et agace les nerfs de façon à donner de l’humeur sans cause au plus intrépide. »

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Plan d'Avignon en 1831

Il visite le musée Calvet, créé grâce au testament d’Esprit Calvet vingt ans plus tôt :


« Je me suis fait conduire au musée. Les tableaux sont placés d’une manière charmante, dans de grandes salles qui donnent sur un jardin solitaire, lequel a de grands arbres. Il règne en ce lieu une tranquillité profonde qui m’a rappelé les belles églises d’Italie : l’âme, déjà à demi séparée des vains intérêts du monde, est disposée à sentir la beauté sublime. J’ai trouvé là beaucoup de tableaux de l’école italienne : un Luini, un Caravage, un Dominicain, un Salvator Rosa, etc. ; mais le public français n’aime guère

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qu’on lui parle de ces choses-là, qu’il comprend peu. J’ai été séduit par un portrait charmant de madame de Grignan, au fond de la plus grande salle à gauche. Quels yeux divins ! Ses lettres montrent une âme bien vulgaire pour ces yeux-là, une âme de duchesse. Peut-être ne disait-elle pas tout dans ces lettres à une mère. Peut-être ce portrait est-il celui d'une jolie femme qui sut aimer et ne s’appelait pas Grignan. »

 

Il admire les douze mille médailles que recèle le musée ; cependant, le magnifique crucifix en ivoire de Jean Baptiste Guillemin qui avait appartenu à la confrérie des Pénitents noirs ne l’émeut pas :

 

« La badauderie naturelle au voyageur m’a fait perdre une heure à l’occasion d’un certain crucifix d’ivoire fort vanté et fort médiocre, et pour lequel il faut demander une permission. Une religieuse le montre en cérémonie. »

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Il visite également la cathédrale et le Palais des Papes transformé alors en caserne :

 

« N’ayant point de chez moi à Avignon, je me réfugie dans la fort curieuse cathédrale Notre-Dame-des-Dons (ou des Domns, de Dominis). Elle occupe le sommet du rocher de ce nom ; l’intérieur a l’air d’une basilique romaine garnie d’ornements gothiques. La façade fut élevée par Paul V (Borghèse), le même pape qui, à Rome, eut la gloire de finir Saint-Pierre et de placer son nom sur le frontispice. On monte de la ville à la cathédrale par un long escalier. Le porche est une copie de l’antique, fort singulière et peut-être unique. On peut le supposer élevé avant les invasions des Sarrasins qui désolèrent la Provence ; il présente des détails de construction fort curieux à observer. »

« J’ai trouvé une vue magnifique du haut du rocher calcaire des Dons, sur lequel au quatorzième siècle fut bâti le palais des papes. C’était une forteresse, et bien en prit à l’antipape Benoît XIII (Pierre de Luna), qui y soutint un siège fort prolongé contre le maréchal Boucicaut. Ce palais est étrangement ruiné aujourd’hui ; il sert de caserne, et les soldats détachent du mur et vendent aux bourgeois les têtes peintes à fresque par Giotto. Malgré tant de dégradations, il élève encore ses tours massives à une grande hauteur. Je remarque qu’il est construit avec toute la méfiance italienne ; l’intérieur est aussi bien fortifié contre l’ennemi qui aurait pénétré dans les cours, que l’extérieur contre l’ennemi qui occuperait les dehors. »

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Il découvre les quelques vestiges romains :

 

« C’est par hasard qu’au moment de partir, et les chevaux déjà attelés, je suis allé voir, derrière le théâtre moderne, une suite d’arcades évidemment romaines ; elles se prolongent sous plusieurs maisons. Quelques centaines de francs dépensées en fouilles donneraient probablement de curieux résultats ; mais on est avare dans le Midi. Curieux trait d’ignorance d’un préfet de ce pays-ci : il fait recouvrir de terre des ruines antiques découvertes par hasard, sans donner le temps de les dessiner. »

 

Et note à propos des remparts :

 

« Ce fut le pape Innocent VI qui fit construire, en 1358, les jolis remparts d’Avignon ; il s’agissait de garantir la ville des attaques d’une troupe de brigands qui s’était formée dans le midi.

Ces jolis murs sont bâtis en petites pierres carrées admirablement jointes : les mâchicoulis sont supportés par un rang de petites consoles d’un charmant profil ; les créneaux sont d’une régularité parfaite. Toute cette construction annonce la richesse et la sécurité ; l’homme qui bâtit est si peu dominé par le sentiment de l’utile et par la peur, qu’il se permet les ornements. Ces murs sont flanqués de tours carrées placées à distances égales et du plus bel effet. On se promène sur leur épaisseur ; jolie vue.

Le temps a donné à ces pierres si égales, si bien jointes, d’un si beau poli, une teinte uniforme de feuille sèche qui en augmente encore la beauté. C’est l’art d’Italie avec ses charmes, transporté tout à coup au milieu de ces Gaulois si braves, mais qui élèvent des monuments si laids »

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Pour finir :

 

« Je prends une barque et vais courir le Rhône. Sur la Loire on craint de manquer d’eau et de s’engraver, sur le Rhône on a à se méfier d’un courant terrible et puissant. J’aborde à une promenade formée de quelques rangées d’ormes que le pays admire, et qui aura quelque physionomie dans cent ans, quand les arbres seront vieux. »

 

Ils le sont devenus…

 

Extraits de "Mémoire d'un touriste", paru en 1854.

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