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Janvier 2024

Petites histoires au sein de la grande Histoire...

Celle d'Avignon est riche en anecdotes, tragiques ou cocasses.

 

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Molière et les frères Mignard, une amitié avignonnaise

      De 1646 à 1658, Molière et ses comédiens ambulants sillonnent le Midi à partir de Lyon, leur port d’attache. Les témoignages de leurs séjours sont rares, mais il est probable qu’ils s’arrêtent souvent  à Avignon, car c’est une étape « incontournable », assidûment fréquentée par de nombreuses troupes. La ville compte plusieurs salles de jeu de paume, alors appelés « tripots »,  dont deux peuvent servir à tout moment de théâtre : celui de la rue de la Bouquerie et le Jeu du Colonel  dit « le Grand Jeu », situé à la porte de l’Oulle.

Jeu de paume, gravure du XVIIIème siècle

Nicolas « Mignard d’Avignon », tombé amoureux d’une Avignonnaise, l’a épousée et s’est installé dans la ville en 1637.  Il a hérité de son beau-père Pierre Avril un jeu de paume doté d’une salle de billard, rue de la Bouquerie. Un contrat de location de la salle à un maître paumier en 1653 contient des clauses précises concernant l’activité théâtrale, dont le matériel nécessaire, tréteaux, bancs, loges, était entreposé dans une remise. Les frais  de l’occupation de la salle incombaient au paumier. Le peintre a installé son atelier à l’étage d’un bâtiment annexe.

On sait avec certitude que Molière et sa troupe se sont arrêtés à Avignon en 1655 et en 1657, et c’est dans le jeu de paume de Nicolas Mignard qu’ils se produisent.

Maison Mignard rue de la Bouquerie

Premier acteur de la troupe, Molière joue les amoureux de comédie et  s’essaie aux valets fourbes à l’italienne tel Mascarille (qu’il reprendra dans Les Précieuses Ridicules en 1659), mais aussi les héros de tragédie à la mode, celles de Corneille, Rotrou, Tristan L'Hermitte.Il  n’écrit encore que des « farces », simples comédies en un acte. En 1655 la troupe, sous la protection du prince de Conti, crée à Lyon L’Étourdi, la première comédie en cinq actes et en vers de Molière, qu’ils jouent à Avignon. En 1657, les Avignonnais ont la primeur de la seconde pièce, Le Dépit amoureux, encore très conventionnelle, qui connaîtra néanmoins le succès à Paris.

L'Estourdy

Cependant Molière et sa compagnie ont certainement fait d’autres séjours à Avignon, puisque dès 1654, Nicolas Mignard signe comme témoin un acte notarié concernant un membre de la famille Béjart, preuve de la familiarité qui existait déjà entre lui et l’entourage du comédien. Madeleine Béjart est alors la « star » de la troupe, mais c’est de Molière que Nicolas Mignard fait deux portraits en César dans La Mort de Pompée de Corneille.

«Il porte une tunique bleu outremer ornée d'une magnifique plaque d'or où est ciselé un masque de lion. La chlamyde rouge est agrafée sur l'épaule par un bijou. La tête est ceinte d'une couronne de laurier posée sur l'abondante perruque curieusement agrémentée, sur le devant, d'un nœud de ruban rouge. A la main droite, César tient un bâton de commandement richement orné. La fermeté et la douceur du jeune visage, l'intensité du regard, très direct, enchantent et fascinent…/… Ce portrait de Molière fut acheté par les Comédiens français  le 19 février 1868,  à la vente du  Cabinet de  M. Vital  pour   6 500 francs. La somme parut énorme, et l'administrateur Edouard Thierry tint à collaborer en personne à l'entrée dans les collections de « ce précieux portrait ». (Sylvie Chevalley)

Nicolas Mignard - Molière en césar dans La mort de Pompée

Comédie française

D’après Georges Forestier, il   « paraît évident qu’il  passait (à Avignon) quasiment chaque année. Quand on voit le temps qu’il faut à un grand peintre comme Nicolas Mignard pour faire un portrait, on peut se dire que le célèbre double tableau qu’il fit de lui en César est le résultat de plusieurs longs séjours dans son atelier. »

Nicolas Mignard - Molière

Château de Versailles

 

A la même époque, Pierre Mignard «  le Romain », est de retour après vingt années passées à Rome. Sa renommée a entraîné son rappel en France par Louis XIV. En chemin, il fait halte pour plusieurs semaines chez son frère Nicolas. Il fera même l’acquisition d’une terre à Realpanier. Il fait donc la connaissance de Molière, début d’une longue amitié entre les trois artistes. La fille du peintre est choisie en 1672 pour être la marraine de Pierre Poquelin, le dernier enfant de Molière, qui ne vivra que quelques jours. A la mort de Molière, Pierre Mignard fera partie du conseil de tutelle de sa fille mineure, Esprit-Madeleine Poquelin, et restera fidèle à son amitié pour Armande Béjart. De son côté, Molière en hommage au peintre architecte, compose en 1669 la Gloire du Val de Grâce, éloge en vers du décor de la coupole du Val-de-Grâce, chef-d’œuvre de Pierre Mignard.

Ils se retrouvent donc à Paris : Pierre Mignard, devant son succès auprès du roi,  renonce à retourner à Rome ; Nicolas quitte Avignon à son tour, ayant accepté l’invitation de Mazarin. Molière lui aussi a entraîné « l’Illustre Théâtre » à Paris. La salle de la rue de la Bouquerie continuera d’être fréquentée par les amateurs de paume et de théâtre et d’accueillir les compagnies itinérantes.

A l’arrivée de Molière à Paris sous la protection de Monsieur, frère du roi, Pierre exécute un portrait dans un style différent de celui de son frère : il le représente assis, drapé dans une magnifique robe de chambre. Ces portraits réalisés par les frères Mignard vont servir de modèle à de nombreux peintres, dessinateurs et graveurs.

Pierre Mignard - Molière

Pierre Mignard - Molière

Molière acquiert l’immense renommée que l’on sait auprès du roi et de la cour, comédien et auteur aussi prolifique que génial. Ses pièces, même controversées, sont jouées partout par les troupes itinérantes, et les jeux de paume-théâtre de la rue de la Bouquerie comme du « Grand Jeu » se sont sans doute longtemps partagé ses succès.

Succès  qui ne s’est jamais démenti, Molière étant l’un des principaux auteurs représentés chaque année… au festival d’Avignon bien sûr !

Nicolas Mignard - Autoportrait

Avignon Musée Calvet

Pierre  Mignard - Autoportrait

Musée du Louvre

Nicolas Mignard "d'Avignon" 1606 -1668

Pierre Mignard "le Romain" 1612 - 1695

Jean-Baptiste Poquelin "Moliere" 1622 - 1673

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