Par Liliane, Janvier 2022

DE LA MAISON COMMUNE A L’HÔTEL DE VILLE
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Dès le haut Moyen Âge, marchands et artisans citadins ne veulent plus dépendre entièrement d’un seigneur, qu’il soit laïc ou ecclésiastique. Au cours des XIème et XIIème siècles, les cités les plus dynamiques obtiennent des libertés et des privilèges inscrits dans des chartes et édifient, se donnant ainsi une légitimité, une «maison de ville » ou «maison commune».
Les « villes de consulat » telle Avignon laissent une large place à la noblesse et au clergé au sein de leur Conseil. Chaque catégorie d'habitants élit un consul, héritage d’une tradition antique. Le pouvoir municipal est exercé par deux assemblées : celle des notables délibère et élit une fois par an l’assemblée du «corps de ville », organe exécutif.
Ce n'est qu'au XVIème siècle que le terme "Hôtel de Ville" s'impose, peut-être en rapport avec la façon dont les bourgeois offraient (de bon ou de mauvais gré) le gîte et le couvert aux rois et princes de passage. Le terme de mairie n’apparaît qu’à la Révolution, laquelle met en place l’existence administrative des communes.

L'Hôtel de Ville a une fonction politique : salle du Conseil, bureau du maire et des conseillers municipaux - et administrative : état civil, salle des mariages, cadastre. Il est souvent doté d'une tour ou beffroi. Le rez-de-chaussée abrite un large vestibule et peut servir de halle. La salle du Conseil occupe généralement le premier étage du bâtiment et ouvre sur la rue ou la place par une tribune ou un balcon.
De nombreux Hôtels de Ville sont construits ou reconstruits sous le Second Empire, ce qui est devenu nécessaire au vu de l’accroissement des responsabilités échues aux Conseils municipaux.

A Avignon, il faut remonter au XIVème siècle pour rencontrer Audouin Aubert, neveu du pape Innocent VI et évêque de Maguelone (près de Montpellier) qui, entre 1352 et 1364, agrandit considérablement une ancienne « livrée » édifiée au début du siècle par le cardinal Pierre Colonna. Cette livrée est située au « carrefour de la porte Ferruce ». Ce « carrefour » étroit est alors tout ce qui reste de l’ancien forum (actuelle place de l’Horloge) largement bâti. Aubert y fait ajouter une tour carrée de style gothique de cinq niveaux sur plan carré avec croisées d'ogives. Le premier étage comprend des décors peints et sculptés dont la symbolique reste parfois obscure. Le second accueille une chapelle privée : le pape Innocent VI est représenté en saint Paul entouré de l’ange de Mathieu, de l’aigle de Jean et du lion de Marc. La lumière, incarnation divine, joue un rôle majeur.
A la mort d’Audoin Aubert, cette tour et un local appelé « arsenal », l’ancienne chapelle saint Théodoric, sont légués aux Bénédictines de saint Laurent, dont la présence remonte au Xème siècle, qui avaient leur couvent juste à côté.
En 1412, meurt le cardinal évêque Nicolas de Brancas, dernier occupant de la livrée, qui y avait hébergé Pétrarque quelque temps
Au XII et XIIIème siècle, les consuls siégeaient au Palais de la Commune (voir au chapitre Vice-Gérence). La « maison commune » est ensuite installée rue de l’Argenterie (actuelle rue de la Bancasse). En 1447, sous l’impulsion du cardinal de Foix, les syndics d’Avignon achètent au collège saint Ruf de Montpellier – auquel l’avait léguée le cardinal Anglicus Grimoard, frère du pape Urbain V en 1383 – la plus grande partie de la livrée : vestibule, tinel, chambre de parement et divers autres locaux ayant un besoin urgent de réparations, pour y établir une nouvelle maison commune. En 1452 ils louent aux Bénédictines la jouissance de la tour où ils entreposent les archives municipales, jusque là conservées au couvent des frères Mineurs (les Cordeliers). On aménage une chapelle au premier, et un poste de guet au troisième

Le couvent des Bénédictines de saint Laurent, la tour
et la place couverte de constructions (Archives municipales)
Comme on le voit sur la gravure ci-dessus, le « carrefour » n’est toujours guère plus qu’une rue, encombrée et mal pratique. On décide de dégager les abords de la Maison commune en abattant deux maisons pour laisser plus de place au marché des fruits et volailles ; ce sont les propriétaires voisins qui doivent participer financièrement aux travaux.

La tour devient entrepôt des archives communales à la fin du XVe siècle. Elle est rehaussée de 16 mètres afin de recevoir en 1471 l’horloge publique, réalisée par Amiel Guibert,d’où le nom de place du Reloge ou de l’Horloge qui est adopté. Pierre Gentil, tailleur de pierres, et Jean Morgier, maçon, renforcent la terrasse et construisent le campanile voûté avec flèches et clochetons pour abriter le mécanisme de la cloche. L’horloge et le jaquemart sont fabriqués par le serrurier Amiel Guibert.
C’est un couple d’automates en bois de figuier, haut de deux mètres : un soldat casqué vêtu d’une cotte de maille frappe les heures avec un marteau et son épouse Jacotte, en robe jaune et rouge, lui tend une rose.
On sonnait aussi pour l’arrivée de personnages importants ou en cas de danger imminent : « Si le cas du feu advient en cette cité d'Avignon (dont Dieu nous garde), que le premier clocher d'où sera le feu, doit sonner Jacquemart jusqu'à temps que la paroisse où sera le dit feu sonne à son tour. »


Le Jacquemart (Photo de Y. Shleiss) et une inscription de 1452 dans la tour - Archives municipales
Au cours de l'année 1497, la ville achète aux Bénédictines la tour et «l’arsenal » pour 2000 florins d’or. Une aile est ajoutée près de l’entrée de la maison commune, et la façade décorée de deux bas-reliefs : «le bon Gouvernement » par Francesco Laurana et «la Vérité amie » par Jean de la Barre. Ferrier Bernard, qui avait sculpté la façade de Saint-Agricol, ajoute une niche avec une statue de la Vierge. La place de l’Horloge est de nouveau agrandie par de nouvelles démolitions, sans aller jusqu’à en faire la vaste « place d’armes » souhaitée, faute de financement.

En 1674, les consuls déclarent que la place, qui sert toujours de marché, « ressemble plus à une petite rue ou une ruelle qu’à une place publique. Les carrosses et les charrettes ne peuvent passer par icelle qu’avec grand’peine ; des personnes ont été estropiées et d’autres tuées. » Douze ans plus tard, un projet d’agrandissement est lancé. Chaque ville veut alors posséder une vaste et belle place et Avignon n’y manque pas, « pour la beauté de la présente ville et commodité publique », et souvent y mettre en valeur une statue de Louis XIV. Pierre Mignard étant chargé de dresser un plan, on démolit plusieurs bâtiments et il construit une nouvelle « boucherie ».

Décor mural de l'Hôtel de Ville - 1730 (Archives municipales)
1734, nouvelles démolitions de quatre maisons vétustes enclavées dans l’Hôtel de Ville, ce qui permet à Jean-Baptiste Franque d’édifier un grand escalier ; quelques années plus tard, il dessine un plan composé de maisons symétriques aux façades uniformes encadrant une place encore élargie. Le bâtiment de la Boucherie de Mansart est détruit dans le but de laisser place à une statue du pape régnant, on commence à rebâtir mais à partir de 1754 les consuls font arrêter les travaux, trop coûteux et sujets à de nombreuses critiques.
En 1790, la population demande le rattachement d’Avignon à la France. Le premier maire sera Jean Baptiste Darmand. Outre les saccages d’églises et de couvents, les municipalités de cette époque entreprennent de supprimer les auvents qui abritaient les étals mais obscurcissaient les rues, font démolir les « croix couvertes » gothiques, déplacent les cimetières intra-muros insalubres.