LES REMPARTS D'AVIGNON 1
Les remparts actuels d’Avignon sont les plus longs d’Europe conservés dans leur intégralité :
4 330 mètres, 33 tours, 55 échauguettes, 6 portes monumentales…
Mais leur physionomie a beaucoup évolué au cours de leurs sept siècles d’existence.
Le premier rempart
Avignon est cernée de remparts depuis le IIIème siècle avant JC ; c’est tout d’abord une enceinte gallo-grecque autour du rocher des Doms fortifié, puis gallo-romaine quand Rome colonise Avenio et sa province. La ville devient une cité commerciale importante.
La muraille est rectangulaire, suivant les rues actuelles de la Petite Reille, des Grottes, Racine, de la Bouquerie, du Collège d'Annecy, des Etudes, du Crucifix, du Four de la Terre, du Chapeau Rouge, de l’Oriflamme, Sorguette, de la Forêt et Banasterie au niveau de la chapelle des Pénitents noirs. Deux vestiges en subsistent rue Racine. Quand les invasions « barbares » arrivent aux portes de la ville, la population se réfugie sur le rocher des Doms et on construit une enceinte plus resserrée et facilement défendable.
Les remparts aux XII et XIIIème siècle
Il faut attendre le XIIème siècle pour qu’une ceinture de remparts plus efficace soit édifiée à peu de distance de l’enceinte romaine. Mais suite de la guerre des Albigeois, en 1226 Louis VIII qui veut reconquérir le midi obtient la reddition de plusieurs villes – sauf Avignon qui lui refuse l’entrée. Le siège dure de juin à septembre, quand la ville capitule faute de vivres. En représailles, le roi ordonne la destruction des remparts avec interdiction de nouvelle construction durant cinq ans, et fait combler les fossés avec des poutres et des pierres.
Ce sera la seule période pendant laquelle Avignon sera dépourvue de protection.
Jean Fouquet - Le siège d'Avignon en 1226 - Bibl. Nationale
Viollet-le-Duc - Les remparts au XIIème siècle
Plan de 1609 où figure le rempart du XIIème siècle
devenu "intra-muros"
Vestiges des remparts du XIIème siècle rue Racine
Dès 1234, les Avignonnais reconstruisent leur rempart, selon le même tracé que le précédent mais 40 mètres plus loin, suivant les rues actuelles de la Grande Fusterie, Joseph Vernet, Henri Fabre, des Lices, Philonarde, Campane et des Trois Colombes. Revenus des péages, emprunts, taxes dont un quart pour la reconstruction, amendes pour qui était pris à voler des pierres et obligation de les restituer, contribuent au financement.
Le sol est encore marécageux. On a retrouvé des pieux en bois de frêne qui auraient pu servir de soutien. En outre, des relevés ont permis de mesurer la superposition de couches de remblaiements successifs qui serait comprise entre trois et quatre mètres. La base des murs est constituée de blocs liés par un mortier très résistant, comportant de nombreux galets et des pierres de calcaire provenant de la carrière du fort saint André à Villeneuve les Avignon.
Chaque portail est encadré par deux tours, dite « bisturri ». Celles du pourtour, d’une hauteur d’environ cinq mètres, avec des murs d’un mètre vingt d’épaisseur, sont équipées de meurtrières étroites
Vestige du rempart du du XIIIème siècle
à l'angle Joseph Vernet / saint Charles
Cependant, les habitants sont autorisés à appuyer de nouvelles maisons aux murailles, et sans doute des brèches, des niches et des fenêtres sont-elles ouvertes si bien que les remparts finissent par être noyés sous les modifications. Un document expose que les lices, les remparts et les terrains alentour sont devenus à usage public.
Le rempart défensif du XIVème siècle
L’installation des papes et des cardinaux en Avignon à partir de 1309 entraîne un afflux de population qui fait déborder la ville au-delà des anciennes fortifications envahies de masures. Devant la menace des bandes de routiers durant la Guerre de Cent ans, Innocent VI ordonne d’élever un nouveau rempart qui va enfermer une superficie de 152 hectares. Mesurant 4330 mètres de long et quatre cannes (huit mètres) de haut, bâti avec des pierres calcaire tendres et abondantes dans la région appelée « pierre du Midi » et « molasse burdigalienne » par les spécialistes, il est garni de créneaux et de mâchicoulis, renforcé par trente-cinq grandes tours rondes, cinquante tours plus petites (carrées, rectangulaires et trois semi-circulaires) fortifiées de cinquante-six échauguettes. Pour accélérer la construction, les plus grandes tours sont creuses, ne possédant que trois murs. Un large fossé profond de quatre mètres, alimenté par les eaux de la Sorgue et de la Durançole, longe l’ensemble.
Croquis de reconstitution des tours et de la porte saint Lazare
Meurtrières étroites
Base des murs
Les remparts s’ouvrent par sept portes d’entrée censées rappeler les sept collines de Rome, munies de ventaux de bois bardés de fer fermées la nuit et précédées de « ravelins », sortes de petits châteaux avancés. Dans les périodes de conflit, les arrivants doivent franchir un premier pont-levis, traverser la terrasse du châtelet, se faire ouvrir une barrière, passer sur un second pont-levis menant à un bâtiment défendu par deux échauguettes avec mâchicoulis, arriver enfin devant la porte protégée par une ligne de mâchicoulis supérieurs, une herse et un second mâchicoulis percé devant les vantaux. Le châtelet lui-même est complètement entouré d’un fossé plein d’eau.
Il faut vraiment « montrer patte blanche » avant de pénétrer dans la ville !
La livrée du cardinal de Boulogne est coupée en deux lors de la construction, qui s’étend de 1357 à 1377. Les bourgeois et la municipalité sont de nouveau mis à contribution.
La porte saint Lazare, fortement endommagée par une crue majeure de la Durance en 1358, sera reconstruite sous Urbain V avec toute la partie des remparts qui s'étend jusqu’au rocher des Doms, peut-être par Pierre Obreri, l'un des architectes du palais.
La tour Langlade
Mâchicoulis
En 1376, Grégoire XI décide de ramener la papauté à Rome, ce qui provoque le Grand schisme d’Occident avec l’élection parallèle de Clément VII en Avignon.
Au départ définitif des papes, la ville est dirigée par des légats, puis des vice-légats qui les représentent et les remparts continuent d’être entretenus et adaptés à l’évolution des moyens de guerre. Au XVème siècle, on ajoute une tour polygonale. Puis, l’artillerie ayant rendu les tours carrées vulnérables, quelques-unes furent remplacées par les rondes que l’on voit aujourd’hui.
Tour octogonale rempart de l'Oulle
Les signes lapidaires
Il existe, à la partie supérieure des murailles, environ 4500 signes plus ou moins effacés et cachés. Ils ont été taillés, gravés, dessinés avec des ciseaux, gravelets ou polkas. On dénombre cinq cents modèles différents : les lettres A, H, K, M, O, R, V, Y, des outils, des croix, des clés, des chiffres romains…
Ils ne sont ni un alphabet crypté de tradition occulte, ni l’indication d’un trésor dissimulé, ni les éléments d’une phrase biblique, mais des marques de tailleurs de pierre. Ils permettaient de contrôler la qualité de l’ouvrage - technique de pose, d’appareillage, de taille, d’assemblage, de localisation - de les comptabiliser et d’identifier l’ouvrier afin de le rémunérer.
On estime ainsi le nombre de tailleurs de pierre entre 2500 et 5000, sans compter ceux qui travaillaient dans les carrières et les terrassiers qui creusaient les fondations et les fossés.
XV & XVIème siècles
Ci-dessus, carte aux personnages de Braun & Hogenberg - Archives municipales Avignon
A gauche, miniature du Maître de Boucicaut - XVème siècle - Bibliothèque nationale
Sur le plan de Georg Braun, théologien et éditeur, et du cartographe Franz Hogenberg, gravé en 1590, figurent les fossés sur le pourtour du rempart et les ravelins des portes saint Lazare et saint Michel.
Désaffectation aux XVII & XVIIIème siècles
Au début du XVIIème siècle, 38 arceaux encombrent la ville, dont les anciennes portes du premier rempart. « Les murailles anciennes d’Avignon estoient doubles tout à l’entour de la ville et sont demeurez encore entiers quasi tous les portaux doubles, avec les vieilles lices, belles et spacieuses entre deux » (Père André Vladier, 1601)
À partir du XVIIIème le mur d’enceinte ne joue plus un rôle prépondérant dans la défense de la ville et les fossés sont comblés au profit « d’allées », promenades très prisées des citadins. Un certain père Labat se moque des remparts en 1731 : « Si les boulets de canon n'étaient remplis que de vent, les remparts pourraient résister quelque temps. »
En 1750, on démolit l’arc intérieur des portails Magnanen, Imbert, Bocquier ; en 1764, le portail des Infirmières ; en 1783, le portail Fract (ou Pont Rompu au bout de la rue des Trois Faucons)…
En plusieurs endroits les merlons sont rasés, on aménage de nouvelles portes du côté du Rhône car la principale voie d’accès à Avignon, pour les voyageurs comme pour les marchandises, reste le fleuve par la porte du Rhône et l’imposante porte de la Ligne, dues à Jean-Pierre et Jean Baptiste Franque entre 1755 et 1760.
Elles deviennent plus décoratives que défensives : la fonction symbolique a pris le pas sur la fonction pratique, même si remparts et portes jouent toujours, également, un rôle de protection contre les crues.
Merlons disparus
Emplacement des batardeaux en protection contre les crues
La Porte de la Ligne début XXème et de nos jours (beaucoup de panneaux)
La « seconde » chapelle saint Nicolas
Les chapelles édifiées sur le pont saint Bénézet menaçant souvent d’être emportées par les crues, la confrérie des bateliers et rebeiriers (hommes d’équipage qui aident aux manœuvres) décident en 1693 de construire une seconde chapelle saint Nicolas et achètent un terrain contre le rempart, face au pont.
Les travaux ne seront terminés qu’en 1732 et on y célèbre les offices jusqu’en 1856, date à laquelle l’inondation catastrophique la détruit. Dans les années 1980, une restauration relève quelques murs et le clocheton.