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Mai 2023

Légats & vice-légats d'Avignon 

      Les légats pontificaux (du latin legatus, « envoyé »), tous cardinaux à l’époque qui nous intéresse, sont chargés de représenter le souverain pontife dans toutes ses attributions au sein du territoire où ils sont délégués, en l’occurrence ses États enclavés dans le royaume de France. Ils vont jouer un rôle complexe, et souvent remis en cause, dans les affaires d’Avignon et du Comtat Venaissin.


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A partir du XVe siècle en effet, les papes ne résident plus à Avignon. Le dernier pontife avignonnais, Pierre de Luna l’antipape Benoît XIII, après s’être obstiné à demeurer enfermé dans le palais durant cinq ans, finit par s’enfuir en 1403 et ses derniers partisans, dont son neveu Pedro de Luna, doivent se rendre au bout d’un siège de dix-sept mois. La population de la ville s’amoindrit, passant à environ 15000 personnes, mais Avignon conserve son rayonnement commercial, financier et artistique sous influence italienne.

Sujets du pape dans le royaume de France, les habitants d'Avignon et du Comtat se retrouvent sous la double tutelle du pape et du roi. Ils en retirent des bénéfices : la papauté n'impose ni taxes directes ni charges militaires, et le roi concède quelques avantages commerciaux. Bientôt l'économie prospère de nouveau: culture du tabac, fabrication des soieries, imprimerie (en particulier les cartes à jouer et la contrefaçon de livres), sans oublier la contrebande (Voir Le Grenier à sel)  

 

Sous la domination de vice-prélats italiens avides et souvent impopulaires, la bourgeoisie marchande opterait volontiers pour une réunion définitive avec le royaume de France, alors que les Comtadins ruraux restent fidèles à l'autorité du pape.

Sceau de

Pierre de Thury

En 1409 Alexandre V, le pape romain, envoie à Avignon le cardinal Pierre de Thury qui, après avoir élu Benoît XIII, était devenu son adversaire le plus acharné. De Thury est nommé vicaire général au spirituel et au temporel pour affirmer l’autorité et administrer les possessions du Saint-Siège en Provence. Lui succède le camérier de l'Église romaine François de Conzié, avec des pouvoirs de gouverneur. Celui-ci fait restaurer les édifices endommagés pendant la « guerre des Catalans » sous Benoît XIII, dont le pont d'Avignon, la cathédrale et les remparts. En 1415 il reçoit avec faste l’empereur Sigismond de Luxembourg venu passer les fêtes de Noël.

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Tour de l'Auditeur élevée par François de Conzié

C’est en 1433, avec la nomination par le pape Eugène IV du cardinal Pierre de Foix dit le Vieux pour le différencier de son neveu Pierre de Foix le Jeune, que s’établit l'institution de la légation d'Avignon. Les Avignonnais se révoltent contre la décision, mais doivent céder après un siège de deux mois, et le cardinal s’installe dans le palais. C'est un administrateur avisé en même temps qu’un grand seigneur aux dépenses somptuaires. Il meurt en 1464 à Avignon et est inhumé dans un tombeau de marbre dans l’église des Cordeliers où il est représenté agenouillé. Ses héritiers mettront plusieurs mois à rendre le palais…

Pierre de Foix le Vieux

Louis XI obtient de Sixte IV la charge de légat pour son cousin Charles de Bourbon, archevêque de Lyon. Quand celui-ci est révoqué quelques années plus tard, le pape nomme son neveu, Giuliano della Rovere. Furieux, Louis XI intervient militairement pour réinstaller son cousin. L'affaire se règle diplomatiquement malgré quelques compagnies de routiers probablement soudoyées par le roi, dont celle du terrible Jehan de Tinteville, qui mettent à sac Avignon et le Comtat.

 

Légat de 1476 à 1503, Giuliano della Rovere poursuit la rénovation de la ville, fonde le Collège du Roure, achève la construction du Petit Palais et reçoit avec munificence César Borgia, fils du pape en exercice, avant de devenir lui-même le pape Jules II.

 

Louis XI hérite le comté de Provence en 1481. Avignon et le Comtat Venaissin forment alors une enclave dans le royaume de France et les légats avignonnais sont désormais nommés par le pape avec l'accord du roi.

Raphaël - Portrait de Jules II - Musée des Offices Florence

A la mort de Louis XI en 1483, une messe est célébrée en son honneur aux Cordeliers. La ville, pas rancunière, fournit cent torches neuves, où sont appliquées à la cire rouge les armes du roi et l'écusson de la ville ; quatre cents grandes armes du roi  décorent l'autel. La dépense totale s'élève à 65 florins 17 sol.

François Guillaume de Castelnau de Clermont Lodève est l’un des rares à résider à Avignon. Il y reçoit à six reprises François Ier, lequel octroie le titre de "régnicoles" (c'est à dire "habitants du royaume") aux Avignonnais et aux Comtadins et leur accorde des avantages commerciaux, en récompense de leur soutien financier à ses troupes lors du siège par Charles Quint. Mort en 1540, François de Clermont Lodève est inhumé au couvent des Célestins, laissant une considérable fortune.

 

Pour lutter contre les adeptes de la religion réformée, Pie IV envoie son cousin le capitaine Fabrice Serbelloni, qui transforme le palais des papes en prison pour les hérétiques et fait décapiter Jean-Perrin Parpaille (voir Place Pie), accusé de s’être converti au protestantisme.

Un soin méticuleux commence à être apporté à l'administration. La chancellerie, ou daterie, agit dans le cadre des affaires spirituelles, ecclésiastiques et matrimoniales sous l’autorité des vice-légats. Le dataire examine la recevabilité des suppliques en vue de leur communication au vice-légat ; une fois la grâce accordée par le concessum écrit de la main du prélat, tout un personnel subalterne (registrateur, correcteur, taxateur des bulles, garde des sceaux) procède à l’enregistrement de la supplique et à l’expédition de la bulle.

Un exemple d’une affaire saugrenue jugée par les légats :

 

En mars 1547, le territoire de Romans subit une invasion  de chenilles qui dévorent les bourgeons des vignes

et des arbres fruitiers. Les consuls le signalent au légat d’Avignon, Alexandre Farnèse, implorant l’autorité

et les exorcismes de l’Eglise pour détourner le fléau. Celui-ci adresse un monitoire (c’est à dire un appel épiscopal à lire en chaire par le curé sur la demande d’un juge civil au cas où les suspects, en l’occurrence

les chenilles, refusent de comparaître) par lequel les fidèles sont priés de s’amender, faire pénitence, s’acquitter de tous leurs devoirs de chrétiens, notamment payer les dîmes, et s’abstenir de travailler les dimanches et jours fériés… seuls moyens d’apaiser la colère divine.

Si cela reste inefficace, le vice-légat promet en outre de prononcer un jugement

pour sommer les chenilles de se retirer sur le lieu qui leur aura été réservé et où

elles pourront subsister sans nuire, sous peine de malédiction et d’excommunication.

Les insectes ont droit à un défenseur, qui plaide que « les maux qui nous affligent sont les châtiments de nos fautes ».

On ne sait pas si les chenilles ont obtempéré…

La légation est une source importante de revenus et de bénéfices. L’institution se structure au XVIème siècle avec Alexandre Farnèse, qui réside à Rome. L’acte écrit est crucial dans le fonctionnement du pouvoir pontifical. Grâce à la correspondance entre le cardinal et ses agents italiens, ses clients et ses protégés issus de l’élite locale, le légat est tenu au courant de tout ce qui se trame à Avignon, les affaires politico-religieuses étant d’une grande diversité.

D'après Le Titien -

Le cardinal d'Armagnac et son secrétaire

Le vice-légat Filibert Ferrier fait remettre de l’ordre « dans un dépôt mal tenu de la tour de la Gâche, dont les armoires craquent et où les registres sont rangés à l’envers » et d’en dresser l’inventaire. Les archives conservées au palais sont triées, classées et préservées.

 

Le cardinal d’Armagnac, co-légat de Charles de Bourbon (qui fut, très temporairement, proclamé roi de France par ses partisans de la Ligue), installe en 1566 la Rote d’Avignon, une haute cour d’appel composée de six juges pour moitié ecclésiastiques et pour moitié laïcs. D’Armagnac assure la défense des États pontificaux contre les Réformés et rétablit la paix dès 1578. Il instaure la présence d’un vice-légat permanent représentant le légat lorsque celui-ci est absent. 

La première moitié du XVIIe siècle est  marquée par des conflits latents : luttes d’influence autour des élections au consulat, épreuves de force entre les membres du Conseil de Ville et les vice-légats, contentieux corporatifs opposant le pouvoir municipal aux privilèges du clergé et de l’université, rivalités entre juridictions concurrentes... rien ne manque à une vie publique fort agitée.

 

Pour mettre un peu d’ordre dans tout cela, Mario Filonardi, archevêque d’Avignon, vice-légat en 1629, crée la charge d’archiviste de la légation. Jusque là les documents étaient dispersés entre les notaires de la ville, les pièces risquant ainsi de se perdre ou d’être dissimulées. La peste avait frappé Avignon et sa région, provoquant de lourdes pertes humaines et un endettement considérable. A cette préoccupation se superpose la volonté de reprendre en mains les intérêts fiscaux de la Chambre apostolique.

PaulSain-Eglise Visitation.jpg

Chapelle de la Visitation fondée

par Mario Filornardi

L’archiviste a désormais à sa disposition des salles dans le palais apostolique pour se loger, conserver et inventorier les innombrables papiers, actes et documents. Il rédige et conserve les règlements pour l’exercice de la justice, de la milice, les réceptions des officiers et les serments qu’ils doivent prêter, enregistre les inventaires, les sentences avec amendes et confiscations, les grâces, les autorisations de lever des tailles, les sauf-conduits...

Exemples de décrets fort variés :

-« Règlement portant inhibition de chasser aux pigeons des pigeoniers, ny en aucune autres sortes de chasse à certains mois de l’année et avec instruments désignés » (1635)

-« Ordonnance portant qu’aucun notaires étranger ne pourra exécuter dans les lieux du Comté, qu’on ne pourra trafiquer en petits patats et doubles pour les porter en cet Estat ; que les commissions des actes des notaires morts ne seront donnés aux estrangers » (1637)

-« Règlement pour les injures verbales et coups de poings pour la présent ville d’Avignon » (1656)

-« Règlement enjoignant aux consuls des villes et lieux du Comtat de donner compte à son Excellence des affaires de leur communauté » (1677)

-« Règlement portant interdiction de lessiver du linge dans le bassin de la fontaine du bourg de Morières » (1678)

-« Ordonnance au sujet du vin qui se vend hors la ville d’Avignon à pot et à pinte » (1755)

-« Règlement contre les mendiants & vagabonds » (1766)

-« Règlement contre les attroupements et les désordres qui se commettent dans les différentes villes et lieux de cet Etat » (1790)

La bulle de Filonardi assigne à cet office un pour cent des amendes et confiscations mais l’oblige à expédier gratuitement tout ce qui regarde la Chambre.

 

Les vice-légats affirment leur tutelle sur les communautés par des contrôles budgétaires qui s’étendent  à tous les domaines : la santé, le ravitaillement, les réparations des chemins, la surveillance des poids et mesures, le maintien de l’ordre.

Ils disposent pour leur garde personnelle de :

-la garde d’honneur composée de la Compagnie des arbalétriers, installée  dans la tour de la poterne Monclar, et celle du jeu de l'Arc habillée « à la turque », établie rue saint Sébastien, chargée de garder les appartements des visiteurs illustres,

- quarante chevau-légers, portant un uniforme composé d'une veste et d'une écarlate avec revers et parement bleu-roi, boutons d'argent, un mousqueton, une épéeet une cocarde

noire en rubans 

- vingt Suisses vêtus à la manière des reîtres du XVIème siècle : pourpoint mi-parti

rouge et jaune (couleurs du pape), manches tailladées en soie rose, pantalon

de tricot en coton rouge,  haut-de-chausse rouges et jaunes, tricorne avec une plume

rouge, cocarde rouge et une hallebarde

- et cent douze soldats d'infanterie, les « pétachins », en habit bleu-roi avec revers

et parements écarlates, culotte et veste blanche à boutons jaunes, guêtres blanches bonnet d'ourson pour les grenadiers et chapeau pour les chasseurs, un sabre et une giberne (sacoche pour les cartouches).  

 

Le plein de couleurs !

.

La garde corse pontificale

La position de vice-légat n’est pas toujours de tout repos. En 1659, les élus du Comtat « rendent leurs devoirs » au nouveau vice légat, Gasparo Lascaris. En mars 1660, Louis XIV, allant épouser l'Infante Marie-Thérèse d'Espagne, séjourne à Avignon accompagné d'une cour nombreuse et brillante. Monseigneur de Lascaris reçoit somptueusement le roi au palais. Cependant trois ans plus tard, quand le duc de Créquy, ambassadeur du roi auprès du Saint-Siège à Rome, est insulté par la garde pontificale corse qui va jusqu’à tuer un de ses pages en tirant sur son carrosse après une altercation avec les soldats français, Louis XIV réagit violemment et s'en prend à Avignon.

Lascaris est arrêté, gardé à vue dans le palais, puis, tandis que le Parlement d'Aix décrète la réunion du Comtat à la Couronne de France, chassé d'Avignon et accompagné jusqu'à son abbaye de Nice par des archers. L'année suivante cependant, le Comtat est rendu au pape, et Lascaris, bien que malade, revient en prendre possession. Un chroniqueur contemporain note: « Le mercredy vingtiesme d'aoust, sous les onze heures du matin, Monseigneur Illustrissime et Révérendissime Gaspar de Lascaris de Castellar est entré dans Avignon dans une litière, malade de febvres, suirvy de grande multitude de monde de condition en carosses, et, arrivé au Palays, a esté mis au lit.»

Une révolte est déclenchée quelques années plus tard par les mesures arbitraires du vice-légat Alexandre Colonna. Sa garnison italienne est chassée du palais et il est obligé d’appeler au secours les troupes françaises pour réintégrer Avignon l'année suivante.

 

En 1663 et 1664 les luttes de factions et des troubles intérieurs se poursuivent lors de la nouvelle réunion temporaire d’Avignon et du Comtat Venaissin au royaume de France. Le vice-légat, l’archiviste et le dataire sont expulsés d’Avignon. Quand la ville est rendue par Louis XIV au pape Alexandre VII qui aura été obligé de s'humilier devant lui, Colonna tout juste réinstallé ordonne de faire procéder à un inventaire des « papiers, sacs et escriptures des archives », manière de reprendre le contrôle des événements.

Le modeste tombeau d'Alexandre VII au Vatican

    Toutes les fonctions importantes et l'archevêché étant désormais dévolus à des Italiens, la langue française, substituée au latin et au provençal depuis 1540 pour la rédaction des actes officiels, est supplantée par l'italien. La noblesse et les notables qui détiennent le quasi-monopole des charges municipales s’en accommodent, mais ni les marchands  ni le peuple qui parlent provençal. Les abus de l'administration et les lourdes impositions, comme celles de Colonna, provoquent la Fronde avignonnaise  entre pevoulins (vauriens) et pessugaux (pressureurs) de 1652 à 1657.

Pendant le XVIIème siècle la légation d'Avignon revient constamment à des cardinaux italiens, et plus précisément au neveu du pape régnant ou à son plus proche collaborateur. Elle compte parmi les charges les plus prestigieuses de l'Église, mais devient entachée par le népotisme et le cumul des bénéfices dont abusent ses titulaires.

En 1693, désirant mettre un terme à ces pratiques, Innocent XII supprime la charge de légat  et crée la Congrégation d'Avignon dont le préfet est le cardinal secrétaire d'État. Les vice-légats, tous italiens, choisis parmi la Curie romaine ou les gouverneurs des provinces,  à la fois administrateurs et diplomates, passent quelques années à Avignon avant de poursuivre leur carrière dans les congrégations romaines ou comme nonces auprès du roi de France, tel Mazarin. Vice-légat en 1634, puis nonce à Paris où il déplut à la cour à cause de ses sympathies pour l'Espagne, il fut renvoyé à Avignon avant de connaître une irrésistible ascension. 

Pierre Mignard - Jules Mazarin, musée de Condé

Cependant les notables d’Avignon contestent avec acharnement l’autorité des vice-légats et s'adressent souvent  directement à Rome pour défendre leurs  décisions et leurs intérêts

Cette liberté d'en appeler au pape compte parmi les privilèges chèrement défendus  par le Conseil de Ville qui refuse de les abandonner, alors que les vice-légats les plus autoritaires tentent de les remettre en cause. Les ambassadeurs envoyés vers le Saint-Siège appartiennent aux familles de la noblesse : les Cambis, les Galéans, les Pérussis, les Berton, les Fougasse, les Tulle, les Fortia, qui occupent le sommet de la hiérarchie locale grâce à leur fortune, leur emprise seigneuriale et leur influence sur les choix politiques. De plus, le voyage à Rome leur confère un prestige supplémentaire.

La Conservation, ou Tribunal pour le jugement des causes mercantiles estably de l'autorité

de N.S.P. le Pape Innocent XI. Par les soings de Monseigneurs l'illustrissime et excellentissime

Abbé Niccolini, vice-legat et gouverneur general en la cité et legation d'Avignon - 1679

En 1701 les ducs de Bourgogne, 18 ans et de Berry, 14 ans, petits-fils de Louis XIV,  sont reçus avec une munificence toute particulière à Avignon. Le vice-légat Sanvitali est chargé de veiller à leur réception jusque dans les moindres détails : « Pour ce qui du foin et de l’avoine, nécessaires pour la subsistance de deux mille chevaux qui sont à leur suite, j’ai déjà donné ordre pour qu’il y en eut en abondance ». Pour pourvoir « à l’abondance des vivres sans se borner aux délices que la province pouvait procurer », il « fait venir d’Italie des présents magnifiques de fruits exquis », et reçoit de Clément XI 50 000 écus pour les festins qui seraient servis en compagnie de tous les officiers royaux.

Louis David (d’après Jean Peru), vignette reproduisant l’une des médailles frappées lors de l’entrée des princes, avec à gauche

leurs portraits et à droite, au revers, la ville d’Avignon sous la figure d’une femme auprès d’un obélisque consacré à leur arrivée

Collection particulière.

Bassinet d’Augard - Chevaliers et officiers de l’Arc, de la compagnie du marquis d’Orsan - Collection particulière.

Monseigneur Sanvitali, originaire d’une riche famille de Parme, est un «homme grand et de très belle physionomie». La garde suisse et un «corps de soixante maîtres habillés et montés comme les gendarmes en chevau-légers de la Maison du roi», l’accompagnent à l’arrivée des princes entre la compagnie de l’Arbalète, vêtue à la française, avec «écharpes blanches et bleues sur les reins», arbalète sur l’épaule, coiffée de chapeaux «bordés d’argent avec des plumets et des nœuds de rubans fort riches»  d’un côté et de l’autre celle de l’Arc habillée «à la Turque, avec des robes de couleurs écarlates, bordées d’hermine sur des vestes bleues chamarrées d’or, le turban garni d’aigrettes et de diamants», armée de sabres et d’arcs dorés, le carquois suspendu «avec un ruban bleu». Les chevaliers arborent des moustaches et «des barbes postiches si bien contrefaites et si adroitement mises, qu’il était aisé de s’y tromper». Leur capitaine est accompagné de six grands valets déguisés en «sauvages» armés de massues et, devant eux, des enfants suivent un «chameau chargé de bagage militaire». Ce qui au final ressemblait plus à un divertissement de carnaval qu’à une entrée solennelle organisée pendant le carême… le tout parmi une «multitude prodigieuse de gens».

En 1710, Clément XI accorde la noblesse au titulaire de la charge de vice-légat.

 

Avignon est de nouveau occupée par Louis XV de 1768 à 1774, mais à la reprise par le pape la congrégation est rétablie. Cependant le dernier vice-légat, Filippo Casoni, incapable de répondre favorablement aux exigences de réforme des Avignonnais lors des événements révolutionnaires, est chassé par les insurgés et regagne Rome tandis qu’Avignon et le Comtat subissent la guerre civile.

 

Le 14 septembre 1791, l'Assemblée nationale proclame leur réunion à la France et en 1797 le pape est contraint de renoncer à ses possessions par le traité de Tolentino signé avec Bonaparte.

Claude Marie Gordot -  Cortège du vice-légat, 1766 -  Musée Calvet Avignon

Les appartements des vice-légats

     Les légats et surtout les vice-légats (les premiers n’ayant que rarement résidé à Avignon) n’occupent pas le palais tout entier, bien trop vaste. Ils se cantonnent au niveau de la tour des Anges où se succèdent les salles de gardes, les salons de réception, les chambres destinées aux étrangers de passage, l'appartement particulier... On construit quand même des pièces supplémentaires (telle la Mirande) alors que certains bâtiments, faute d'être habités et entretenus, commencent à tomber en ruine.

Le palais ayant servi de prison pendant la Révolution, puis de caserne jusqu’en 1906, une partie de ces bâtiments a été démolie lors de l’occupation militaire et il est très difficile de déterminer les emplacements exacts et la destination des différentes pièces.

La tour des Anges

Au temps des vice-légats, le palais reste le lieu de nombreuses fêtes et réjouissances. Une étiquette rigoureuse, aux règles précises et prescriptions formelles, régit l’accueil des gens d'Église, nobles, fonctionnaires, membres des diverses hiérarchies qui chacun ont leurs droits et prérogatives.

 

Si un ambassadeur est annoncé, le vice-légat s'avance à sa rencontre et le reconduira à son carrosse. S’il s'agit de magistrats subalternes ils sont accueillis et quittés au seuil de l'appartement privé. Tous les cas sont prévus. Le code de préséance précise de minutieux détails, tel l’endroit de la salle où il est d'usage de s'arrêter, tant à l'aller qu'au retour, pour chaque catégorie de personnes.

soldats devant palais.jpg

 Lors de la visite de la Reine douairière d'Angleterre, une table de trente couverts est dressée pour le déjeuner. Sur le désir de la reine,  par exception le public n’est pas admis. Les grands se donnant volontiers en spectacle, c’est d'ordinaire une faveur que d'assister à leurs repas. En 1748, on y donne un concert « d'instruments et de voix » organisé en l'honneur du duc de Richelieu, auquel assistent de nombreux invités, « dames et cavaliers ».

L'habitation du vice-légat est précédée d'une cour, cortile, menant à la salle des Gardes suisses, décorée de blasons. Huit estafiers s'y tiennent à sa disposition. Les Suisses sont requis dans les grandes circonstances, faisant la haie, hallebarde au poing, au passage des visiteurs.

 

La première salle, dite des Cavallegieri, peut contenir cent couverts. De riches

tapisseries surmontées des armes du pape recouvrent les murs, deux rangs

de lustres avec quantité de bougies vis-à-vis de miroirs l’éclairent. Une tribune

accueille la « symphonie ».

 

Les murs  sont recouverts de cuir doré, recouvrant d’anciennes fresques à rinceaux. 

Le lundi et le jeudi matin le vice-légat y préside les audiences publiques, sur un trône abrité par un baldaquin. Une balustrade réserve l'espace autour des magistrats

et la foule se tient sur des bancs.

Le Palais au XVIIIème siècle

Le vice-légat entend la messe tous les jours, et avant chaque audience, dans l’oratoire qui jouxte la salle. Une fenêtre de la chapelle donne dans la salle des Suisses, ce qui permet à la domesticité d’y assister.

 

L’appartement du vice-légat comprend trois pièces. La salle des Avocats sert de réception pour les personnages de moindre importance. Elle est tendue de tissus de Flandre ou de brocatelle « sans or ». La chambre, « plafonnée en voûte », se situait sans doute au dessus de la porte de la Peyrolerie.  C’est une pièce étroite, sombre et sans cheminée. Au XVIIème siècle les vice-légats s’installent dans la tour de la Garde-Robe, plus confortable, et y reçoivent leurs administrés.

L'appartement « noble » tout entier est un appartement de parade, où sont reçues les dames de qualité et hébergés les personnages importants. Il est composé de trois chambres en enfilade. Pas de cheminée dans l’antichambre, tendue de damas de velours cramoisi ou de brocatelle ; deux tables et seize fauteuils sont à fournir par le vice-légat quand il entre en fonction et restent sa propriété.

La salle d'Audience ou chambre du Baldaquin est meublée de quinze grandes chaises à bras, à pieds dorés, alignées le long des murs tapissés de damas ou de velours à fond d'or, d’un tapis de Rhodes de huit mètres sur quatre, d’un riche et grand miroir, et d’une table à dessus de marbre, pieds sculptés et dorés selon « la coutume romaine ». Un dais à franges d'or et pompons abrite le portrait du pape régnant. Quand il s'agit de faire cortège au vice-légat, les magistrats et la haute société s'y réunissent. On sert des rafraîchissements pour les faire patienter pendant que Monseigneur est à sa toilette.

C'est dans cette pièce que sera logée la Reine douairière d'Angleterre : on dresse un lit à pavillon placé sous le baldaquin tandis que les dames de compagnie garnissent l'embrasure des fenêtres de fleurs à profusion ; Louis XIV lui-même y sera accueilli.

Au XVIIIème siècle, la chambre de parade comprend un lit richement orné, un tapis, et beaucoup d’or : des tapisseries de damas ou de velours à fond d'or, quinze chaises «entièrement dorées», une table à pieds dorés, supportant des corbeilles de fleurs et de fruits artificiels, un grand miroir, un tableau de dévotion, une garniture de cheminée en porcelaine et un balcon.

Une porte communique avec la salle de la Mirande, la plus vaste, luxueuse et mieux éclairée de l'habitation (sans rapport avec l’Hôtel de la Mirande actuel). C’est la salle des fêtes du palais. Lors du passage du duc de Richelieu, le vice-légat fait installer huit lustres et de nombreuses appliques en cristal ; les jeux de lumière se multiplient de façon éblouissante.

A Noël, trois banquets traditionnels y sont servis. Au premier sont invités le clergé et les moines : les doyens de saint Agricol, de saint Pierre, de saint Didier, les chanoines de tous les chapitres : deux Grands Augustins, deux Grands Carmes, deux Cordeliers, deux Trinitaires.

Le second rassemble la noblesse et quelques étrangers de marque. L'archevêque est quelquefois présent au côté du vice-légat, des Viguiers, du premier Consul, des différents conseillers. Le troisième repas est réservé aux fonctionnaires. 

A la Mirande a lieu également  « les visites gracieuses ». Deux fois par an, le vice-légat « habillé en soutane et mousette violette » reçoit les magistrats suivant l'ordre de préséance, « dans sa chaise à bras relevés, sur un marchepied sous un dais » Les prisonniers sélectionnés se mettent à genoux et le vice-légat leur accorde sa grâce.

 

L'une des sorties de la salle de la Mirande aboutit à la « porte de fer » qui permet aux vice-légats de sortir discrètement ou d’éviter une entrée solennelle. Le capitaine de la garde qui veille à cette porte compte parmi les invités du repas de Noël.

Emplacement de la porte de fer rue du Vice-légat

Ils s’éloignent dans le temps, les papes, les légats et les vice-légats, leur magnificence et leur arrogance, leurs conflits d’intérêt, leurs jeux de préséance et d’allégeance fluctuante, leur népotisme et leurs trahisons, leurs complots et leurs dévouements, leurs messes quotidiennes et leurs richesses accumulées… Seule une plaque de rue rouillée rappelle leur présence centenaire.

 

Un roman retrace de façon superbement évocatrice les dernières décennies pontificales en Avignon :

« La Tour des Anges » de Michel Peyramaure.

Bibliographie

Joseph Girard - Évocation du vieil Avignon, 1958

Marc Maynègre - De la Porte Limbert au Portail Peint, histoire et anecdotes d’un vieux quartier d'Avignon

Joseph Girard - Avignon. Histoire et Monuments

Roger Vallentin - Notes sur la chronologie des vice-légats d'Avignon au XVIe siècle, Mémoires de l’Académie de Vaucluse1890

https://romans-patrimoine.fr/

https://www.cairn.info/revue-historique-2003

https://journals.openedition.org/crcv/

https://www.edition-originale.com/en/antique-books-1455-1820/history/folard-la-conservation-ou-tribunal

https://francearchives.gouv.fr

https://earchives.vaucluse.fr/document/FRAD084_reglements_legation

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