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Février 2023

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Le Monument du Centenaire
de la réunion d'Avignon et du Comtat Venaissin à la France

         Au début de la Révolution, les Avignonnais patriotes exigent des réformes, mais l’intransigeance du pape Pie VI les pousse à se soulever contre les papistes. La municipalité élue en mars 1790 demande la réunion d'Avignon à la France, ce qui est cependant refusé deux fois par l’Assemblée nationale. Le conflit entre les révolutionnaires et les conservateurs s’intensifie en 1791. L'Assemblée Nationale finit par entériner la réunion d'Avignon et du Comtat Venaissin à la France en septembre  et Avignon devient le chef lieu du département du Vaucluse.

 

En 1890, la ville dirigée par le maire Pourquery de Boisserin attribue 30 000 francs (environ 130 000 euros)  à l’édification d’un monument célébrant le centenaire.

 

Trois projets sont sélectionnés. Louis Lucien Ruffier et Noël Ruffier proposent chacun des fontaines monumentales entourées d’un jardin présentant des animaux rapportés du Tonkin (région nord du Vietnam), alors protectorat français, sur la place du Palais. Noël Ruffier, né à Avignon en 1847, exécutera plusieurs monuments aux morts après 1918, aux Angles, à Mazan, Mollegès. Louis Lucien est l’auteur de la façade de l’Hôtel de Ville de Saïgon.

Mais c’est le projet de Félix Charpentier, assisté de Claude Férigoule, qui  retient l’attention du jury présidé par le maire. Le devis est de 75300 francs. Une souscription publique est confiée à la commission de propagande.

Felix Charpentier est né à Bollène en 1958 dans une famille ouvrière modeste. Remarqué pour ses dons de dessinateur et sculpteur, il entre à l'école municipale des Beaux-arts d’Avignon et comme apprenti chez le sculpteur Armand qui décore les façades de la toute nouvelle rue de la République. Il réalise quelques mascarons de l’actuel hôtel Danieli : l’un des moustachus serait Armand lui-même… Puis il entre aux Beaux-arts de Paris. Au cours de sa longue carrière il remporte de nombreux prix et commandes: plus de 240 œuvres répertoriées, quelques 200 bustes de personnalités et des monuments aux morts.

Il est renommé pour ses portraits et ses nus inspirés de l’antique.  Son modèle est son épouse Léa Lucas.

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La ville d'Avignon acquiert "Le départ des hirondelles" de 1893 dont l’installation près de l’église saint Pierre fait scandale. On chuchote que le modèle est sa propre fille Francine. A Avignon, on peut voir également le buste de Paul Saïn, 1909,  et le monument au peintre Paul Vayson, 1913,  au Jardin des Doms ; au cimetière saint Véran  "la Sentinelle des morts"  un soldat de la guerre de 1870  et la "Fée électricité" en hommage à André Ducommun ; à Bollène, le groupe des Lutteurs. A Paris il participe à la décoration des façades de la Gare de Lyon et du grand Palais. Il meurt en 1924

La Sentinelle des Morts, le monument au peintre Vayson et la Venus aux Hirondelles

Charpentier sculptant "Le mineur"

pour le groupe des Lutteurs

Son élève et assistant Claude André Férigoule naît en 1863 à Avignon, hameau Champfleury. Il participera à la fondation du  Museo Arlaten. C’est l’auteur du  buste de Guillaume Puy rue de la République. Il meurt en 1946 à Arles.

Buste de Guillaume Puy par Férigoule

Charpentier vient s’installer à Avignon pour la durée des travaux et se fait construire un vaste atelier sur la route du Pontet. La question de l’emplacement va provoquer une crise municipale, chacun y allant de ses arguments. Le maire insiste pour la plateforme du Rocher des Doms, ce qui nécessiterait des frais considérables pour le transfert du monument ; sur la place du Palais, il ne serait pas mis en valeur ; sur la place de l’Horloge, il remplacerait le monument au Brave Crillon. Cette dernière proposition l’emporte après beaucoup de remous et la démission de treize membres du Conseil municipal…

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L’entrepreneur Clément commence à creuser les fondations, qui vont traverser les anciennes rues enfouies et les sous-sols des maisons médiévales disparues de l’îlot du Bon Parti avant de trouver un sol suffisamment ferme.

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Place de l’Horloge, les ouvriers et maîtres de chantier s’activent : les fondations terminées, on livre les matériaux, les échafaudages spéciaux de 17 mètres de haut. 300 mètres cubes de béton sont coulés, les pierres taillées sont scellées de nuit pour aller plus vite. Les badauds se bousculent pour observer le chantier.


La colonne est terminée en juin. On y dépose une cassette contenant des pièces d’or, le plan de la ville, un guide annuaire, une médaille commémorative, et un texte de Saint Just sur la Révolution à Avignon. Deux chars ornés de drapeaux apportent la statue de bronze et le drapeau qui sont hissés au sommet de la colonne, bien que Charpentier soit absent de la cérémonie. La statue est fixée par un pieu de fer mais le drapeau trop lourd – 2840 kilos tout de même – est temporairement remplacé par un banal drapeau tricolore.

Enfin, en juillet 1891, le groupe de statues frontal est posé pour une première inauguration. Le président Sadi Carnot, s’étant déplacé l’année précédente, envoie son ministre de l’Intérieur Constans. Le cortège part de la gare, la troupe présente les armes et joue la Marseillaise de Berlioz. Après les discours d’usage, les élèves du Conservatoire entament l’Hymne des Comtadins à la France. Tout cela est très patriotique.

 

Des fêtes sont organisées : course de vélocipèdes, joutes sur le Rhône, banquet le soir et feu d’artifice, concert sur la Place de l’Horloge. De quoi réjouir le bon peuple. La journée aura coûté 6000 francs à la Municipalité.

 

Charpentier et ses nombreux aides entreprennent alors les sculptures de grands groupes de dix figures en ronde-bosse dans ses ateliers vitrés.  Quatre bas-reliefs sur le socle évoquent les armes d'Avignon, Cavaillon, Carpentras et l'Isle sur la Sorgue.

 

Les fonderies Denonvilliers, après la statue et le lion, coulent les médaillons de bronze et les plaques de marbre sont gravées en lettres d’or pour expliciter les allégories et lister les noms d’une trentaine de donateurs. Tout doit être prêt pour avril 1892, et le sera.

La réception officielle de l’imposant monument est précédée d’une retraite aux flambeaux au son de la musique militaire, de la Philharmonie avignonnaise et du groupe des Patriotes de Vaucluse. De nombreuses personnalités civiles et militaires sont présentes. Indispensables discours, concerts, bals publics à l’Hôtel de Ville, illuminations de la mairie et du théâtre, rien n’est épargné pour que l’inauguration finale soit mémorable.

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Le monument une fois terminé comprend un socle de 10 mètres de côté, pour une hauteur de 16 mètres. Trois marches en pierre dure d’Ardèche entourent un ensemble pyramidal dont le sommet sera la hampe du drapeau. Autour de la colonne cylindrique, dix figures en ronde bosse présentent, par trois groupes de trois et un de deux :

-          La famille : père mère et enfant symbolisent Avignon et le Comtat. Les parents offrent leur enfant à la France.

-          Le serment : trois générations – grand-père, fils et petit-fils – représentent l’agriculture symbolisée par une gerbe de blé. Le fils adulte jure soumission aux lois du pays. Il s’agit de Pourquery de Boisserin en personne « vêtu de sa seule moustache »…

-          L’appel : un navigateur soufflant dans une conque représente le Rhône, un vieux forgeron évoque l’artisanat, et un musicien joue de tambour, avec à ses pieds flûte de Pan, luth et cornemuse

-          Le Vaucluse : la Fontaine de Vaucluse avec une Comtadine.

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Tout le monde étant dénudé, les nus masculins ont choqué – mais Charpentier en avait l’habitude !

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Au sommet la République, une belle dame en bronze, les seins à l’air, un bras tendu et l’autre retenant un drapeau, représente prospérité, protection et dignité, avec à son pied une corne d’abondance  qui déverse raisins et pommes. En bronze aussi, un lion d’allure féroce et son épée (volée depuis) gardent la ville devant son emblème.

A chaque angle un mascaron : le serpent représente la critique, tandis qu’un masque d’âne avec un rouleau déclare : « La critique est difficile, l’art aussi ». Allusion aux critiques de tous bords,  surtout cléricales, qui assaillent le sculpteur.

Le socle porte les textes suivants :

Inauguré le 19 juillet 1891

Par M. Constans  Ministre de l’Intérieur

Et   M. Bret         Préfet

MM. Gent     }     Sénateurs

       Guerin  }

Général Quenot C -  La 30eme division

M. Pourquery de Boisserin  maire Député

MM Despuech   } 

            Gaillard }    députés

            Michel  }

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Emblème de Cavaillon

 

Portrait d'Ernest Constans,  ministre de l'Intérieur
 

« Trois fois Avignon et le comtat ont été saisis par les rois de France. La réunion n’a été franche, sincère, définitive que lorsque le peuple lui-même s’est donné lorsque sous l’action irrésistible de notre grande révolution il s’est senti entraîné instinctivement vers cette France d’où se répandaient sur le monde tous les nobles sentiments, toutes les pensées généreuses.

La France est libre. Nous ne devons le devenir que par elle et nous jetons dans ses bras. Le peuple français donnera des lois à l’univers entier et toutes les nations viendront se réunir à lui pour ne plus faire de tous les hommes que des amis et des frères.

Ce monument témoigne de notre union dans le même sentiment d’amour et de dévouement pour la patrie. Il est l’œuvre de tous, de la ville, des souscripteurs, de l’Etat.

19 juillet 1921

 Le maire d’Avignon »

Sur la plinthe du lion : Fondu par Maurice Denonvilliers
A
utour du médaillon : Constans ministre de l’Intérieur
Sur la plaque en marbre : Ce monument témoigne de notre union dans un même sentiment / d’amour et de dévouement pour la patrie. il est l’œuvre de tous, de la ville, des souscripteurs et de l’état. Extrait de discours prononcé le 19 juillet 1891  par le maire d’Avignon
Sur le fût de la colonne : Réunion du Comtat Venaissin  à la France  1791 – 1891

Ascension du ballon « Le Pétrarque » au cours des fêtes du sixième centenaire de la naissance du poète, sur la Place de l’Horloge, le 18 juillet 1904 

Document Archives municipales.

L’ensemble est représentatif de l’époque, à la fois allégorique et didactique.

Le monument, qui occupe une large partie de la place, est incontournable. «Véritable poème de pierre » selon un certain Grandin en 1900, « remarquable mais disproportionné » selon le journaliste Achille Rey, il va rester là 83 ans, objet de nombreuses cartes postales, jusqu’à ce que le maire Henri Duffaut, emporté par un zèle moderniste – creusement d’un parking sous la place du Palais, démolition du vieux quartier de la Balance – décide de son déplacement.

 

Le monument est jugé «d’assez mauvais goût », il « obstrue le fond de la place»… Bref, on n’en veut plus, et le 1er mars 1974 le Conseil municipal vote sans débat son exil au début des Allées de l’Oulle devenues un vaste parking.

Il se dégrade, noircit, se couvre de graffiti, les statues sont amputées, l’épée du lion est volée, le bronze se corrompt, tandis que les inscriptions dorées s’effacent. Il est restauré par la municipalité en 1991, deux cents ans après sa construction. L’atelier François Bronze nettoie la statue et le lion, qui retrouvent de leur superbe.

 

Environnée de voies rapides et de voitures en stationnement, la belle République tourne résolument le dos à la fête foraine et regarde au loin… quoi exactement ?

Bibliographie

Chantal Maigret - Annuaire de la société des Amis du Palais des Papes – 1988-89  - Bibliothèque Ceccano

Communication écrite de M. Clap, Avignon, archives municipales, 3 juin 2002

https://e-monumen.net  

https://www.laprovence.com

https://www.culture.gouv.fr

Dessin du monument : Musée d'Orsay, Fonds Debuisson - web - archives municipales - Dominique Perchet 2015

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