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Par Liliane   Février 2024

Petites histoires au sein de la grande Histoire...

Celle d'Avignon est riche en anecdotes, tragiques ou cocasses.

CRUN CRUN d'AVIGNON

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Amuseur public, simple d’esprit, moqué et souvent humilié sans paraître y attacher d’importance, Crun Crun tenait son surnom de son violon à une seule corde dont, avec une fourchette édentée, il tirait un son abominable.

 

On le prétendait couvert d'écailles, car pour une piécette il se jetait dans le Rhône qu'il traversait à la nage. Or il arriva que grâce à son talent de nageur, il sauva un imprudent ou deux qui risquait de se noyer.

Il faisait le pitre aux terrasses des (nombreux) cafés de la ville pour qu'on lui offre un verre. Tout le monde se moquait de lui - peut-être ne voyait-on pas qu'il pouvait fort bien se moquer en retour.

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Vedette de plusieurs cartes postales (où il était désigné comme "type de la rue" ce qui n'était guère flatteur pour les Avignonnais en général !), il se laissait affubler des déguisements les plus saugrenus, en petite fille, en danseuse à tutu, en soldat de la guerre au Maroc de 1912… Il adorait les militaires et quand une musique défilait, il ouvrait fièrement la marche.

A chaque scrutin électoral, il obtenait des voix ! Sans avoir bien sûr jamais fait acte de candidature. L’un de ses « spots » préférés était la rue des Grottes… alors fréquentées par les prostituées, autres réprouvées de la société qui lui offraient volontiers le gîte et le couvert.

Il aimait lire « Le petit Marseillais » et mimer ensuite les scènes d’actualité.

Il fut nommé aganto chin par la municipalité, c'est-à-dire collecteur de chiens errants. A l’aide d’une roulotte tiré par un vieux cheval, il s’acquitta de sa charge du mieux qu’il put dans les rues de la ville. On réussit à le faire monter sur le cheval, ce qui lui valut le titre honorifique de premier écuyer d’Avignon.

On l’invitait aux mariages, aux banquets, pour qu’il amuse la galerie avec son violon et ses clowneries. Il arrivait qu’on le conspue, lui jette des tomates pourries ou pire, mais il se contentait de sourire et s’en allait chercher son salaire en cuisine : du vin, des restes du repas. Quand un jour il reçut en récompense une vieille couronne mortuaire récupérée dans les détritus du cimetière Saint-Véran, il remercia et l’emporta pour la déposer, dit-il, sur la tombe de sa fille.

Car il affirmait avoir eu une fille qui n’avait pas vécu. Tout ce qu’on savait de lui, c’était son prénom, Louis. Ni sa date de naissance, ni son nom de famille, ce qui laissait supposer à certains qu’il était né dans l’une des respectables familles aristocratiques ou bourgeoises d’Avignon, et rejeté en raison de sa déficience.

 

Au moment de la mobilisation de la Première Guerre mondiale, vêtu d’un pantalon rouge il suivit avec enthousiasme un détachement du Génie à cheval. Or à l’entrée

de la gare, l’une des montures lui décocha un violent coup de sabot qui le tua sur le coup. Dans le bouleversement du mois d’août 1914 sa mort passa inaperçue. Simplement,

il n’était plus là, et de toute façon, l’époque n’était plus à rire.

CRUN CRUN

 

Il n’est pas beau, c’est vrai ! Crâne en forme de poire,

Perruque d’esquimau, face de sapajou,

Allure de guignol : un sculpteur, après boire,

Le rendrait tout vivant dans le bois d’acajou.

 

Mais que lui font, à lui, le chagrin, le déboire ?

En fier toréador, en humble tourlourou,

Il va par Avignon. Le plus mince pourboire

Représente à ses yeux tout l’argent du Pérou.

 

Un pernod le déride, un cigare l’enchante ;

Il mange, il boit, il dort, il cabriole, il chante ;

Pas de fête où son pif ne brille au premier rang.

 

« Ohé ! Louis !... » Chacun, tour à tour, l’apostrophe,

Mais, secouant la tête, il passe indifférent…

En vérité, Crun Crun est un grand philosophe !

 

Ernest Feuillet – Les Cent Sonnets - 1913

Bibliographie

Jean-Marie Desbois -  Article dans GénéProvence de 2014

La Gazette provençale de Juin 1947

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