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LE BON ROI RENÉ
1ère partie
Ce « bon roi René » cher au cœur des Provençaux ne régna sur aucun royaume mais eut de nombreux titres : seigneur puis comte de Guise, duc de Bar, duc consort de Lorraine, roi de Naples, duc d’Anjou, comte de Provence et de Forcalquier, roi titulaire de Jérusalem, de Sicile et d’Aragon.
Et bien qu’il n’ait que fort peu vécu à Avignon, il y a laissé en héritage sa « maison », et donné son nom à une rue bordée de beaux hôtels et un théâtre.
René naît en 1409 dans le château d’Angers, résidence de ses parents Louis II d’Anjou, roi titulaire de Naples et comte de Provence, et Yolande d’Aragon, une femme exceptionnelle qui joua un rôle de premier plan pour la victoire dans la Guerre de Cent ans. Il est le cousin et beau-frère du futur roi Charles VII. Son père meurt en 1417 et il reçoit la terre de Guise en Picardie; mais nous sommes en pleine guerre et le régent anglais du royaume de France confisque ses possessions du nord de la Loire.
Sa mère le fait adopter par Louis Ier de Bar, ecclésiastique sans enfant, pour devenir son héritier. Elle arrange aussi son mariage avec Isabelle, seule héritière du duché de Lorraine. Le mariage a lieu en 1420 ; les époux sont âgés de 11 ans.
Mariage de Louis II d'Anjou
et de Yolande d'Aragon
Isabelle de Lorraine
Peintre non identifié - Florence
René d'Anjou jeune
Gravure du XIXème siècle
La lune de miel style "troubadour"
de René et Isabelle par Ford Madox Brown - 1864
A 15 ans il participe au siège, qui va durer trois ans, du château du comte de Vaudémont qui lui disputait la Lorraine. En 1427, Isabelle met au monde le premier de leurs neuf enfants, dont six mourront très jeunes. René assiste au sacre de Charles VII à Reims et devient l’un des compagnons d’armes de Jeanne d’Arc, en compagnie de laquelle il fait une entrée triomphale dans différentes villes. Il est fait prisonnier à deux reprises par le parti bourguignon mené par Philippe III Le Bon duc de Bourgogne, avant d’être libéré la première fois en échange de ses fils Jean et Louis, et la deuxième fois contre rançon.
Charles VII
Portrait par Jean Fouquet vers 1445
Le roi René et ses troupes lors de la guerre de Cent Ans
Manuscrit de Martial d'Auvergne, vers 1484
Il contribuera à la fin de la guerre en participant activement aux négociations de Tours. En 1445 il marie sa fille Marguerite d’Anjou, nièce de Charles VII, au roi d’Angleterre Henri VI dans l’espoir de préserver la paix mais la guerre reprend jusqu’en 1453.
Marguerite d'Anjou
Maître de Talbot - 1445
Henri VI d'Angleterre
Anonyme - XVIème siècle
À la mort de son frère il devient roi titulaire de Sicile et de Jérusalem, comte de Provence, puis roi de Naples par testament. Il se bat en vain contre Alphonse d’Aragon pour faire valoir ses droits sur Naples mais ne conserve que le titre de roi de Jérusalem et de Sicile ; de plus il est ruiné. Il se retire au château de Tarascon. Des notables d’Avignon lui prêtent de très grosses sommes d’argent qu’il ne peut rembourser comme promis, et ce sont ses propres vassaux qui viennent à la rescousse.
En 1451, Jacques Cœur, richissime financier accusé de lèse-majesté par Charles VII, parvient à s’enfuir et rencontre René qui le fait amiral de sa flotte.
Vassal rendant hommage au roi René
Aveu à René - vers 1469 (Archives nationales)
Son épouse Isabelle meurt en 1453. René transmet le duché de Lorraine à Jean II de Lorraine, son seul fils survivant.
Portrait posthume en marbre d'Isabelle de Lorraine
attribué à Francesco Laurana, appelé par le roi à Avignon où il meurt en 1502
Bien qu’inconsolable de la mort d’Isabelle, René se remarie avec Jeanne de Laval l'année suivante. Ils n'auront pas d'enfants. En 1472 ils s’installent à Aix en Provence. Il se consacre à l'administration et au développement de ses domaines, Anjou, Lorraine et Provence, ce qui bénéficie particulièrement à Aix et Avignon, tout en limitant le pouvoir de la noblesse. Il crée des lieux de promenades et des jardins fleuris où vivent des paons et des biches. Ses sujets peuvent visiter ses ménageries de félins. Il fait entretenir les forêts et les vignobles et exécuter des travaux d'irrigation dans le Lubéron et la plaine de la Durance par l'intermédiaire de son chambellan Fouquet d’Agout. Le barrage de l'« Etang de la Bonde » est l’un des premiers réalisés en France. Apprécié des Italiens, il contribue à la résolution du Grand Schisme d’Occident et conseille utilement Charles VII dans l'administration du royaume.
Nicolas Froment -
Triptyque du buisson ardent -1475
Nicolas Froment - René d’Anjou & Jeanne de Laval
Musée du Louvre
D'après Michel Laclotte, ces deux portraits reflètent "le vieillissement maussade de l'un et l'anguleuse laideur de l'autre".
C’est un mécène éclairé et cultivé qui parle plusieurs langues, lit le grec et le latin, aime la musique et les tournois. Il a la passion de l’Orient et des livres enluminés, s’entoure de peintres, en particulier Nicolas Froment, d’orfèvres et de poètes. Il peint lui-même et compose des ouvrages sur l’art du tournoi et l'amour courtois. Il entretient une troupe de théâtre dirigée par son bouffon Triboulet, qui pourrait être l’auteur de la féroce satire La farce de Maître Pathelin. Il organise des fêtes somptueuses, car « c’était un prince plein de déduit et plaisir qui n’avait en son train que gens d’esprit et passe-temps ».
Il a 65 ans quand ses démêlés avec son redoutable neveu, Louis XI, le conduisent à accepter les conditions de ce dernier : contre une confortable pension, René lui abandonnera à sa mort la Provence et l'Anjou.
Musique à la cour du roi René Procession du roi à Aix en Provence
Psautier du roi - XVème siècle - Attribution possible au premier peintre du roi Barthelemy de Clercq
En 1476, il ajoute à ses nombreuses possessions – le château et l’hôtel particulier de Tarascon, sa demeure d’Aix, la bastide de Pertuis, les châteaux de Peyrolles et de Forcalquier, le jardin acheté aux moines de l’Abbaye Saint-Victor de Marseille, la bastide de Saint-Jérôme, des demeures aux Baux, à Aubagne, plusieurs relais de chasse - l’ancienne livrée de Viviers d’Avignon, qu’il agrandit en acquérant plusieurs maisons mitoyennes, aménage en demeure confortable et fait décorer par son peintre attitré Nicolas Froment - et où il ne séjournera que quelques jours. Pour le grand autel du couvent des Célestins il commande à Francesco Laurana le Portement de Croix, l’une des premières œuvres « Renaissance » en France, et fait don d’un reliquaire de la Vraie Croix en or et argent doré en 1477.
Voir La maison du roi René en page suivante.
Francesco Laurana - Le portement de croix
Église saint Didier
Le château de Tarascon
La cour du roi
Sa fille Marguerite d’Anjou, prisonnière en Angleterre depuis la mort de son époux, est libérée en 1476 contre une rançon de 50 000 écus d'or versée par Louis XI à condition qu’elle renonce à son héritage sur l’Anjou. Elle rejoint son père à Aix en Provence jusqu'à la mort de celui-ci, qui survient en 1480. Malgré le souhait de ses sujets provençaux, Jeanne de Laval respecte sa volonté : pour le soustraire aux Aixois, elle fait dissimuler le corps dans un tonneau déposé sur une embarcation qui remonte le Rhône. Le roi René est inhumé à Angers aux côtés de sa mère et de sa première épouse Isabelle de Lorraine dans le tombeau qu'il avait fait réaliser dans la cathédrale d'Angers. Seules lui survivent deux de ses filles.
Dessin du tombeau de René d'Anjou et Isabelle de Lorraine
dans la cathédrale d'Angers, détruit en 1794.
La légende du roi René
On vit partout aux bords de la Durance
De grands troupeaux de moutons et de bœufs ;
Poules alors pondaient de plus gros œufs,
Et l’âge d’or existait en Provence.
Ainsi le poète Diouloufet célébre « l’âge d’or » apporté par la présence du roi René en Provence. « Se chauffer à la cheminée du roi René », expression provençale, signifie profiter des rayons du soleil comme, paraît-il, lui et Jeanne de Laval le faisaient sur le port de Marseille…
En effet, sa légende naît très tôt : « Vigilant protecteur du pays, conservateur de l’Église, entretien des nobles, défendeur du commun, amoureux de pais et de concorde, substantateur des pauvres, des dames et damoiselles directeur et support, administrateur incorruptible de justice et, en général, de tout son populaire très bénin et très miséricordieux père » d’après Jean de Bourdigné, prêtre angevin, en 1529.
Sa bonté et de sa fortitude furent vantées et célébrées par une multitude d’historiens, l’un des premiers n’étant autre que Nostradamus, dans L’Histoire et Chronique de Provence en 1613 : René subit stoïquement « fortune inconstante et muable », « sans qu’on eut jamais pu apercevoir en son visage aucun signe de changement et mutation, tant il porta d’un cœur vraiment royal et généreux toutes ces pertes et disgrâces ».
Il est vrai qu’il fit édifier, rare témoignage de fidélité, un monument funéraire en souvenir de sa nourrice Thiephaine la Magine, tenant dans ses bras les deux nourrissons royaux, René et sa sœur Marie étroitement emmaillotés. Cependant, il y a peu de chances qu’un prince constamment endetté comme il le fut soit prêt à accorder des remises de taxes à ses sujets en cas de fort mistral ayant ruiné les récoltes, ainsi que le rapportent ses hagiographes…
Ce qui lui bénéficia le plus fut que sa présence en Provence correspondit à la fin de la guerre et de l'épidémie de peste noire, suivie d'une relative reprise de l’économie locale.